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6 films inédits et en tout épatants, fraîchement restaurés et à découvrir au cinéma le 16 février : la rétrospective Kinuyo Tanaka, réalisatrice de l’âge d’or japonais signée Carlotta Films révèle le talent – derrière la caméra cette fois-ci – de l’actrice fétiche d’Ozu et Mizoguchi. (Re)découverte du grand cinéma japonais.

 

 

Kinuyo Tanaka : le visage du grand cinéma japonais

Connaissez-vous cette sensation plutôt pas géniale quand, alors que vous n’avez pas encore ingurgité le premier de vos nombreux cafés et essayez d’accrocher deux neurones ensemble en une synapse maladroite, d’autres ont déjà pris leur douche, écrit 10 mails sans fautes d’orthographe et gravi l’Everest en sandales ? Où trouvent-ils le temps ? Où trouvent-ils leur talent ? (Pourquoi pas moi ?)

Cette sensation, que j’éprouvais face à la (sur)production littéraire de Jules Verne et ses 3 romans par an, j’ai eu droit à le revivre pleinement avec Kinuyo Tanaka. Actrice fétiche des plus grands réalisateurs de l’âge d’or du cinéma japonais – Ozu et Mizoguchi en tête – elle a joué dans plus de 250 films. Ne vous inquiétez pas, j’ai sorti la calculette : ça fait une moyenne de 4,71 films par an depuis ses débuts en 1924 et jusqu’à sa mort en 1977. La vie de Tanaka coïncide en quelques sortes avec la vie du cinéma nippon de son époque, son visage ayant jalonné tous ses grandes étapes. Les films muets, la transition vers la parole, l’âge d’or, etc : Tanaka est là et elle évolue avec le cinéma. Ou est-ce le cinéma qui évolue avec elle ?

Une pionnière derrière la caméra

En 1953, Kinuyo Tanaka fait quelque chose d’extraordinaire pour l’époque : elle passe derrière la caméra. C’est la première femme à le faire. Elle dira : « Puisqu’il y a des femmes qui font de la politique, j’ai pensé que ce serait une bonne chose qu’il y ait aussi une femme qui réalise des films. » Car réaliser, c’est faire. Et faire, c’est politique. Les six films qu’elle réalisera jusqu’en 1962, restaurés par Nikkatsu et dont la rétrospective est distribuée par Carlotta Films, sont un concentré de vision(s).

Ce n’est pas facile, sans trébucher dans le cliché, de dire si et en quoi Kinuyo Tanaka est une femme en avance sur son temps. La tentation est forte de faire appel au lexique avant-coureur, pionnier et révolutionnaire. La tentation est forte et fondée : certaines de ses répliques semblent trop modernes même pour un 2022. D’autre part, Tanaka est une femme profondément ancrée dans son temps, tant visuellement que thématiquement.

La femme au centre

La vérité, hélas, c’est que peu de choses semblent avoir vraiment changé pour la femme japonaise. Hier comme aujourd’hui, elle se bat et se débat avec, et surtout contre, une société qui la malmène. Les luttes et les désirs des femmes de Kinuyo Tanaka, véritable colonne thématique de ses films, n’ont pas eu l’occasion d’évoluer outre-mesure. Un mariage réussi, un corps intègre et féminin, la reconnaissance d’une certaine idée de succès social : tels étaient et demeurent les horizons désirables de la femme japonaise (et pas que).

 

Mais s’il y a peut-être une thématique qui se révèle dans les films de Tanaka et qui est très contemporaine en ce qu’elle est au centre des débats, c’est la sororité. La cohésion féminine. La famille choisie dans et envers la douleur. Les consœurs de batailles.

Il y a chez Tanaka une franchise totale, une mise à nu (parfois littérale) de la femme japonaise. La nuit des femmes (1961) suit un groupe d’anciennes prostituées dans un centre de redressement suite à la fermeture des maisons closes : l’envie (ou pas) de faire peau neuve, le besoin d’assumer ou de cacher son passé, la femme pire ennemie de la femme. Un film choral et politique au féminin, c’est encore si rafraichissant.

Maternité éternelle (le titre original étant le mille fois plus impactant Seins éternels) de 1955 est l’histoire vraie de la poétesse Fumiko Nakajō, décédée d’un cancer du sein à 31 ans. La perte de soi qui accompagne la perte de ses seins, symboles d’érotisme, de maternité nourricière et, in fine, pur concentré de féminité est traitée avec une lucidité douloureuse.

Tant d’Histoire, tant d’histoires…

Son premier film, Lettres d’amour, de 1953 est un compte-rendu des blessures (tant féminines que masculines) de l’après-guerre, le versant féminin étant toujours obligé de payer double sa part de rédemption. Amochés et meurtris, femmes et hommes cherchent un pansement introuvable, une paix qu’aucun traité ne peut ratifier à lui seul. La guerre est au centre de La princesse errante de 1960, avec cette même Mandchourie qui fait la blessure collective au cœur de Les amants sacrifiés de Kiyoshi Kurosawa. Plus ambitieuse encore dans ses reconstructions historiques, Tanaka se plonge dans les persécutions des Chrétiens au XVIe siècle pour y planter le décor de l’histoire d’amour de Mademoiselle Ogin (1962).

Et puis parfois, comme dans La lune s’est levée de 1955, on est dépaysé par un ton vif et léger, un joyeuse chamaillerie pour l’amour et le bonheur domestique (pas des plus modernes) aux accents de Jane Austen. C’est un dépaysement stylistique à la manière de Pietro Germi, qui déboussole par sa capacité à passer de la grande fresque historique (Le chemin de l’espérance) à la comédie venimeuse (Séduite et abandonnée): qu’on commence par l’une ou par l’autre, on ne sait plus pourquoi on verse ses larmes. Était-ce l’émotion, le fou rire ou la bile de travers ?

Kinuyo Tanaka : une rétrospective unique

À partir du 16 février, rendez-vous est donc pris dans les salles françaises : la rétrospective Kinuyo Tanaka, réalisatrice de l’âge d’or japonais offre au grand public 6 films restaurés et neufs – au sens physique et figuré. L’âge d’or du cinéma nippon n’aura jamais eu l’air aussi contemporain. EDG