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L’existence d’une mère de famille sans histoire est bouleversée par son rôle de jurée, lors d’un procès pour infanticide qui change radicalement sa vision de la maternité. Une série japonaise aussi dure que poignante, éclairant les angles morts d’une société patriarcale corsetée par les conventions.

Mini-série | 6 x 50 minutes | réalisation Yukihiro Morigaki

La maison de la rue en pente : chronique d’une chute

« Ça parle de maternité. Ça commence par un infanticide ». Résumer La Maison de la rue en pente, c’est devoir assumer deux choses. La première : il n’y a que trop peu de produits culturels de qualité qui se penchent sur la maternité. La seconde : la maternité, c’est un champ de bataille avant d’être un champ de fleurs.

Disponible en DVD dans notre boutique 100% Japon, la série en 6 épisodes réalisée par Yukihiro Morigaki et tirée du roman de Kakuta Mitsuyo met en scène Risako, femme au foyer, bonne mère et bonne épouse. Elle est tirée au sort pour prendre part au jury populaire lors d’un procès d’infanticide très médiatisé. À la barre, une femme déchue ayant noyé sa petite fille. Tout le monde crie au scandale, le jugement semble unanime et déjà gravé dans le marbre. Sauf qu’au fil des jours d’audience, des parallélismes insoupçonnés se créent entre les deux femmes – et des failles, puis des gouffres, s’ouvrent. La vie parfaitement équilibrée (ou simplement en équilibre) de Risako devient un labyrinthe de questionnements et de souvenirs, et son rôle d’épouse et de mère s’effrite.

Mères à l’écran

Des séries anglophones avaient déjà ouvert la voie à la popularisation des affres de la maternité (comme l’australienne The Letdown ou la canadienne Working Moms). La Maison de la rue en pente se détourne, elle, du sentier rassurant de la comédie pour se faire tour à tour série judiciaire, thriller psychologique, drame familial et manifeste militant. Avec une finesse incroyable, la scénariste Eriko Shinozaki parvient à créer des personnages tiraillés à l’image de la société nippone, où l’ultra-modernité et le progrès ne sont pas toujours synonymes. Les gentils et les méchants n’existent pas. Il y a juste un tas de malheureux, tantôt gagnants, tantôt perdants, et une société cruelle.

Sans jamais tomber dans la caricature, un éventail de femmes sont éparpillées sur l’échiquier collectif et intime de la maternité. Il y a Risako, mère et épouse qu’on est appelé à envier. Il y a la cheffe d’entreprise qui voudrait avoir des enfants sans y parvenir. La working girl qui ne se laissera pas miner par un homme et des marmots. La jeune maman et juge qui doit jongler entre ses supposés devoirs de mère et ses ambitions professionnelles. Et il y a les hommes. Rares. Intermittents. Se croyant féministes et modernes mais profondément englués dans des attentes traditionnelles et dans leur position de pouvoir. Cet engrenage est la recette d’un désastre généralisé où l’infanticide initial n’est que la pointe de l’iceberg.

La performance de la normalité

Kakuta Mitsuyo, écrivaine centrale au Japon et dont le roman est à l’origine de la série, place régulièrement la maternité au centre de ses œuvres, non seulement en ce qu’elle est, mais en ce que la société veut qu’elle soit. Elle relate le mélange de sororité et d’amitié toxique entre mères (les mamatomo, ces femmes qui ne sont amies que par le biais de leurs enfants) ; l’injonction contradictoire à travailler d’abord, puis à quitter le travail une fois l’enfant venu ; la solitude conjugale imposée par le (non) partage des tâches et des horaires massacrants.

Ce qui tue les mères – ou ce qui les pousse à tuer – c’est la violence de la performance de la normalité. Une mère parfaite est avant tout une mère normale. Cette normalité, inventée de toute pièce mais fardée des brumes du mythe, c’est un amour inconditionnel, instantané et inébranlable vis-à-vis de son enfant et un savoir-faire maternel inné. C’est le passage brutal d’une identité bâtie par et pour soi à une identité entièrement dépendante de (et dévouée à) son époux et sa progéniture. C’est une société où les poussées intimes de l’ura (l’envers) ne peuvent pas ébranler la façade de l’omote (l’endroit).

Alors qu’en France la parole se libère autour de la difficulté maternelle et de la dépression post-partum, La Maison de la rue en pente vient mettre des mots très francs sur les choses et les rend enfin dignes de la fiction. Ça fait mal et ça fait beaucoup de bien à la fois.

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