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Un film de Kazuya Shiraishi

Japon | 2h09 | Prochainement au cinéma

Une plongée magistrale dans l’époque d’Edo, avec un casting impressionnant. De la tension permanente des duels (de sabre ou de go), émerge une profonde humanité et un sens des valeurs digne des plus grands films d’Akira Kurosawa.

Ancien samouraï, Yanagida mène une vie modeste avec sa fille à Edo et dédie ses journées au jeu de go avec une dignité qui force le respect. Quand son honneur est bafoué par des accusations calomnieuses, il décide d’utiliser ses talents de stratège pour mener combat et obtenir réparation…

 

« Les poissons ne vivent pas dans l’eau claire. »

Hagakure (notes et pensées d’un samouraï du début du XVIIIe siècle).

Si les derniers films de samouraï ou jidai-geki (films d’époque, en costume) arrivent difficilement à la cheville des plus grands chefs d’œuvre du genre (Pauvres Humains et Ballons de papier de Sadao Yamanaka, Hara-kiri de Masaki Kobayashi, Rashōmon d’Akira Kurososawa…), Le Joueur de Go parvient à rendre brillamment hommage à l’âge d’or du cinéma de samouraï tout en modernisant résolument le genre. Derrière cette reconstitution historique visuellement splendide et d’une humanité rare se cache une quête existentielle par-delà l’ombre et la lumière, qu’incarnent métaphoriquement les pions blancs et noirs du jeu de go. Ce qu’on appelle le beau n’est d’ordinaire qu’une sublimation des réalités de la vie. 

À Edo (ancien nom de Tokyo et siège du pouvoir du shogunat Tokugawa qui a dirigé le Japon de 1603 à 1868), un rônin nommé Kakunoshin Yanagida et sa fille Okinu mènent une existence simple et paisible. Quelques années plus tôt, Yanagida fut contraint de quitter le service de son maître à la suite d’une fausse accusation pour un crime qu’il n’a pas commis. S’il gagne désormais sa vie en tant que fabricant de sceaux, il n’en demeure pas moins samouraï en son for, strictement attaché à son code d’honneur, intègre et incorruptible. Dans les situations les plus délicates, la communauté s’en remet toujours à son jugement, d’une précision sans faille… tout comme ses attaques au go, un jeu de stratégie combinatoire qu’il affectionne particulièrement. Il y est question de territoires à construire pour encercler son adversaire. Lorsque le passé refait surface, et le désir de vengeance qui va avec, le jeu ne pourra continuer plus longtemps à faire abstraction de la réalité… car c’est bien son ennemi juré que Yanagida va devoir traquer et affronter, à coups chorégraphiés de sabre et de pions magistralement placés. Encore faut-il parvenir à en sonder la présence, dans une société féodale ultra codifiée, hypocrite, en proie à la cruauté et à la corruption. La quête de Yanagida ne serait-elle pas, au fond, l’errance d’un samouraï trop stoïque et digne pour ce bas monde ?

Le Joueur de Go signe une plongée magistrale dans l’époque Edo, par le biais d’une structure narrative redoutablement efficace. La première partie, presque méditative, prend le temps de poser autant sa fabuleuse galerie de personnages (mention spéciale au casting, impressionnant) que leurs pions (chacun y allant de sa complexité et de ses intérêts) ; la seconde, captivante et sous tension, nous embarque dans un jeu de piste et de revanche, « où chaque nouveau coup rend l’autre plus fort ». On ne gagne pas en cherchant à ne satisfaire que son propre intérêt. C’est en apprenant cette leçon que Yanagida finira par partir l’esprit tranquille… comme après une victoire au go. Car ce qui rend ce film historique si moderne, c’est le changement d’état d’esprit de ce héros qui entre finalement en dissidence, s’écarte peu à peu du chemin imposé à l’élite guerrière japonaise pour avancer au gré de son destin et des paysages. Au gré de l’amour. Au gré du deuil. Libre.  

O. J.