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Un livre d’Isabelle Boinot

Journal intime, carte au(x) trésor(s), cabinet de curiosités et atlas des lieux en voie de disparition : Otoshiyori, trésors japonais, le tendre essai graphique d’Isabelle Boinot, est tout cela. Mais c’est surtout une lettre d’amour à une génération lente et filante, celle des otoshiyori (« personnes âgées »), une lettre d’amour qui n’est pourtant pas dupe de son propre émoi, la vieillesse étant, du Japon, à la fois le pilier et le tendon d’Achille.

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L’âge est un pays étranger

Notre société, moderne et occidentale, tient plus de l’archipel que les 6852 îles du Japon. Les ensembles y sont divisés en sous-groupes – races, générations, classes sociales – et rares sont les ponts réellement solides qui les relient. Se matant du coin de l’œil, tout le monde voit l’étrangeté, voire l’exotisme, de l’autre. La langue incompréhensible des jeunes, les habitudes surannées des vieux.

Ces vieux, c’est le pays étranger qu’Isabelle Boinot a voulu visiter dans Otoshiyori, trésors japonais, publié par la jamais décevante maison d’édition L’Association. Au Japon – car il n’est pas question ici de n’importe quel vieux – les seniors constituent un tiers de la population. Un tiers des Japonais qui « sont comme un fruit qui aurait perdu une bonne partie de sa teneur en eau : plus légers, plus ridés, plus petits, mais bien plus intenses en saveur ».

L’âge est une affaire de style

Au fil de ses nombreuses visites à l’Archipel, Isabelle Boinot prend des notes, vole des clichés, croque des visages dans les kissaten. Elle goûte aux délices de Tokyo, collecte les boîtes d’allumettes et les menus et observe tout. Elle collectionne du regard la vie qui passe. Parce que le grand âge est sûrement un état physique et mental, il se traduit également par des lieux, des gestes, des rituels.

Les cafés aux plaquages sombres destinés à disparaître avec le prochain chantier. Les animaux de compagnie, chéris, peignés, coiffés et promenés. La dent sucrée qui ne connaît pas d’âges, dans les salons de thé à l’empreinte occidentale. À mi-chemin entre le guide touristique des lieux presque disparus et le portrait de famille des anciens à leurs derniers printemps, Otoshiyori, trésors japonais est une étrange – mais si efficace ! – invitation au voyage.

L’âge est un sport de combat

On n’est pas vieux partout pareil. Chaque culture a ses défis et ses injustices. Au Japon, les personnes âgées semblent plus gracieusement tissées dans le maillage social. Mais cette participation tient du rôle très actif des seniors dans le monde du travail. Et travailler sans relâche et sans retraite, cela n’a de sens que quand ce travail a été choisi.

Malheureusement, Isabelle Boinot le sait, la grâce de l’âge appartient aux moins précaires. Pour les autres, le Japon n’est pas plus un paradis qu’un autre endroit sur Terre. Vieillir est au mieux un doux et étrange voyage, au pire un vrai combat.

Les dessins ravis (dans le double sens de volés et d’enchantés) d’Isabelle Boinot sont le plus tendre des hommages à un âge, avec ses lieux, ses gestes, ses amours. Ils rendent grâce à un pays dans toute la grandeur de son quotidien. Ils offrent un étrange miroir – pas du tout déformant – de nous dans un temps à venir. Un temps qui a l’air beau.

EDG.