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Fleurs de pivoine, guerriers belliqueux, masques inquiétants et dragons fumants : l’imagier iconique du tatouage japonais n’échappe à personne, et ce à n’importe quelle latitude. En dehors de l’Archipel, tout le monde s’accorde à le définir comme un art. Mais le tatouage ne jouit pas de la même réputation dans sa patrie d’origine. Arboré (mais savamment caché) par la pègre locale, les yakuzas, par les classes sociales les plus humbles ou par les peuples autochtones, le tatouage japonais a derrière lui une histoire millénaire. Une histoire que le beau livre Le corps tatoué au Japon de Philippe Pons retrace avec précision et une admiration sans bornes.

Le corps tatoué au Japon, ou « les peaux de brocart »

« Nul n’est prophète en son pays », comme on dit. Et les vagues culturelles sont sujettes depuis toujours à d’imprévisibles marées, des va-et-vient de refus et d’engouement. Si le tatouage est aussi ancien que l’histoire de l’humanité, il surfe en ce moment sur une vague de popularité. Délesté des anciens a priori, ils se montre désormais sur toutes les peaux, ou du moins sur 18% des peaux majeures de France. Au Japon, le discours se nuance.

Reconnaissable et reconnu, le tatouage japonais est une religion aux millions d’adeptes mais, comme l’explique Philippe Pons dans son essai Le corps tatoué au Japon (Gallimard), une religion où les maîtres de culte se font rares. Apparu il y a plus de 7 millénaires au Japon, le tatouage n’a pas qu’une seule histoire. Noircissant les lèvres des femmes aïnous ou décorant les femmes de l’archipel Nansei, le tatouage japonais tel que le monde le connaît se développe à l’ère Edo.

Le tatouage, la beauté (vainement) cachée

Le tatouage se fait l’orgueil de certains corps de métier : les pompiers, les ouvriers, les prostituées. Il sublime ceux que la société ne veut élever. Quand le Japon ouvre ses portes à l’Occident avec l’ère Meiji, il souhaite cacher ce qu’il pense être honteux : le corps tatoué. Le tatouage devient illégal. Faute de pot (ou de peau), l’Occident adore.

Certes, le tatouage s’est agrippé aux épidermes de la pègre et de ceux que les interdits ne chatouillent même pas. Et oui, l’Occident aussi fustige le tatouage comme un trait caractérisant, bien que non inné, du criminel – les essais de Cesare Lombroso en gardent la trace. L’Occident y voit, à très forte raison, l’une des nombreuses déclinaisons du raffinement japonais, de sa discipline de la beauté, au même titre que l’ikebana ou la cérémonie du thé.

Le raffinement, une histoire de discipline

Faisant écho aux estampes du mouvement ukiyo-e, le style et les motifs du tatouage suivent des règles de sens et d’harmonie bien précise. Disposition sur le corps, motifs symboliques, certes, mais esthétiques avant tout, rituels du piquage. Le tatoueur, artiste mais aussi artisan, apprend son métier des décennies durant auprès de son maître, avec abnégation et discipline, tant et si bien que, selon le grand tatoueur Horiyoshi III, « on ne devient pas un bon tatoueur avant cinquante ans ».

Avec une précision académique mais une passion tout à fait extra-curriculaire, Philippe Pons offre au tatouage japonais non pas les lettres de noblesses dont il n’a pas besoin, mais l’étude sérieuse qu’il mérite en tant que discipline artistique. Son savoir encyclopédique dévoile une facette pourtant très populaire du Japon et en révèle chaque recoin, lexical, historique et sociologique.

Indéniablement, le tatouage japonais en tant que style a de beaux jours devant lui. Mais Pons nous prévient : en tant que discipline, en tant qu’art poussé jusqu’aux retranchements de l’ascétisme, il risque de dépérir. La rigueur et le raffinement sont les ennemies du monde contemporain, un monde dont la volatilité pourrait se résumer en une fleur de sakura, si seulement on pouvait tatouer le temps.

EDG.

Si vous souhaitez découvrir le regard excentré d’un tatoueur japonais contemporain, nous avions rencontré le talentueux Yomi Kamoike qui exerce désormais à Paris. Filez lire son interview (et n’hésitez pas à prendre rendez-vous pour un petit – ou grand – tatouage !)