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Keigo Shinzo, Mauvaise Herbe vol. 1, Le Lézard Noir.

Traduction Aurélien Estager

208 pages

15x21cm

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La nuit est tombée sur Tokyo et derrière la porte d’un salon de massage pas très homologué on écoute un échange triste digne d’un hashtag YouPorn, entre une trop jeune fille et Monsieur Tout-Le-Monde. Un échange qui évoluerait dans d’encore plus tristes transactions si l’équipe du lieutenant Yamada ne faisait pas irruption sur les lieux pour arrêter clients et proxénètes.

C’est ici qu’ils se croisent pour la première fois. D’un côté le lieutenant Yamada, terne quadragénaire intègre mais sans ambitions, et Shiori, jeune fugueuse mal dans sa peau et au regard infiniment mélancolique. Shiori passerait inaperçue parmi les autres jeunes filles si elle ne ressemblait pas comme deux gouttes d’eau à la fille défunte du lieutenant. Les fantômes refont surface, les fantasmes apparaissent et les projections commencent. Le destin de ces deux êtres malmenés par la vie va désormais maintes fois se croiser. Peut-on, sur le malentendu d’une ressemblance, tenter de réparer les choses, réécrire son histoire, transformer sa fuite en trajectoire, payer ses dettes vis-à-vis de la vie ?

Connu en France pour sa série Tokyo Alien Bros, également publiée chez Le Lézard Noir, dans Mauvaise Herbe Keigo Shinzo (Ishikawa, 1987) explore avec énormément de sérieux le côté sombre de l’adolescence – la prostitution, l’univers des fugueuses, les familles dysfonctionnelles – en dressant le portrait d’un univers à la fois lugubre et très humain, sans pour autant céder aux sirènes qui voudraient rendre tout sous-monde cool et sexy. Le rythme du scénario, très réussi dans ses suspensions songeuses et ses brusques à-coups, traduit en images les non-dits des personnages principaux qui, tout en s’apprivoisant lentement, gardent l’un vis-à-vis de l’autre de vastes zones d’ombre.

Si le premier tome tourne autour de Yamada et Shiori, le deuxième tome et, surtout, le troisième et avant-dernier, à paraître le 21 janvier, voit le passé de ses protagonistes s’épaissir de détails et la faune des personnages s’accroître. Les personnages secondaires nuancent et enrichissent le récit, en brouillant de plus en plus le portait d’une monde en noir et blanc, un monde de gentils et de méchants, de victimes d’un côté et de bourreaux de l’autre, et en rendant à chacun ses blessures et ses ratages. La mère abusive de Shiori, dont la représentation graphique parvient à traduire en images la brutalité à coups de traits colériques et aveugles, enrichit la BD d’un autre angle d’analyse qu’est celui de la maternité et de la charge parentale dans un milieu défavorisé.

Mêlant grâce et horreur,  parlant avec finesse à toutes les générations, la série Mauvaise Herbe nous guide à la découverte du Japon des solitaires et des malaimés, où la technologie n’est qu’un pont trop fragile entre les individus et où l’empathie se manifeste dans des gestes peut-être trop rares, mais bien réels.

(edg)