Grâce à KMBO, trois chefs-d’œuvre du génie de l’animation Mamoru Hosoda se refont une beauté en 4K pour une sortie au cinéma le 16 juillet. En attendant la sortie de l’énigmatique Scarlet, il est temps de (re)découvrir sur grand écran La traversée du temps (2006), Summer Wars (2009) et Les enfants loups, Ame et Yuki (2012).
La saison Hosoda
Size doesn’t matter, dit-on. Si on veut bien y croire, il y a un contexte où cet adage est résolument faux : le cinéma. En effet, il est des plaisirs qui sont plus grands quand ils sont, littéralement, plus grands. Et parce qu’un autre dicton voudrait que less is more, on a envie de dire : au cinéma, more is more ! Après tout, pourquoi se contenter d’une télévision – voire d’un écran de téléphone – quand on peut savourer un film en grand format ? Et pourquoi se contenter d’un film quand on peut en enquiller trois ?
Alors, contre l’ennui et la canicule, KMBO a trouvé la solution : trois films d’animation de Mamoru Hosoda, pimpés dans une toute nouvelle version 4K, à savourer dès le 16 juillet au frais d’une salle de cinéma. Un triple régal de saison.
La traversée du temps (2006, 1h38, à partir de 9 ans)
Premier film au menu, La traversée du temps, tiré de la nouvelle éponyme de Yasutaka Tsutsui. Le film met en scène Makoto, une lycéenne joyeuse et un peu chaotique. Elle a deux grands copains, deux garçons, Chiaki et Kôsuke, avec qui elle traîne à longueur de journée. Un jour, elle découvre qu’elle arrive à remonter le temps. Au départ, elle s’autorise de petits bonds temporels pour des raisons futiles – arriver à l’heure, éviter une mauvaise note, revivre un bel après-midi. Puis, elle se rend compte que ces bonds dans le passé ne sont pas sans conséquences pour ses proches…

La thématique de la boucle temporelle ne cesse d’inspirer le cinéma (En boucle, Comme un lundi…). Avec La traversée du temps, le temps joue des tours surnaturels à un moment de la vie où il joue naturellement des tours. Cette période, c’est la fin de l’adolescence, tiraillée entre les élans vers l’âge adulte et les prolongations de l’enfance. Ces après-midi où l’on a l’impression que rien ne se passe, alors que tout est en jeu. Où l’on a l’impression que tout est un jeu, alors que tout est un match. Après tout, l’adolescence ne serait-elle pas la boucle temporelle par excellence ?
Summer Wars (2010, 1h54, à partir de 10 ans)
Oz est un réseau social qui rassemble des milliards d’usagers à travers le monde, ainsi que les grandes entreprises et les administrations. Alors qu’il travaille à la maintenance d’Oz pendant ses vacances d’été, le lycéen Kenji est convaincu par sa camarade Natsuki à l’aider lors d’une grande réunion familiale. En faisant la connaissance du clan des Jinnouchi, Kenji découvre que sa mission est, en fait, faire semblant d’être le petit copain de son amie. En répondant à un énigmatique e-mail anonyme, Kenji sabote à son insu le système de sécurité d’Oz. Dans le chaos virtuel qui en suit, une mystérieuse IA malveillante, Love Machine, déclenche une série catastrophique de conséquences à l’échelle internationale. Un lycéen passionné de mathématique et sa bruyante « belle-famille pour de faux » sauront-ils restaurer l’ordre mondial ?

C’est avec une inquiétante clairvoyance que Mamoru Hosoda imagine les conséquences du monopole d’un réseau social et d’une IA dont la faim de savoir devient cannibale. Mais aux millions d’anonymes s’oppose le microcosme bien réel d’une famille, bruyante, imparfaite. L’échelle humaine, dans tous les sens du terme.
Les enfants loups, Ame et Yuki (2012, 1h57, à partir de 7 ans)
Sur les bancs de la fac, Hana fait la connaissance d’un camarade dont elle tombe amoureuse. Celui-ci, qui l’aime en retour, lui avoue être un homme loup. L’acceptant tel qu’il est, Hana et l’Homme Loup se mettent en ménage et ont deux enfants, Yuki et Ame. Peu de temps après, l’Homme Loup se noie accidentellement dans une rivière et Hana doit gérer seule ses deux bébés. Angoissée par la possibilité qu’on découvre la double nature de ses enfants, elle s’installe à la campagne, dans une maison en ruine. Malgré des débuts très rudes, Hana parvient à nouer de solides liens avec ses voisins et appréhende peu à peu ce nouveau territoire. Ses deux enfants grandissent et prennent tout doucement deux chemins divergents : Yuki, celui des hommes, et Ame, celui des loups…

Le film a beau s’appeler Les enfants loups, il est avant toute chose une ode à la maternité dans toute ses nuances : la maternité combative, la maternité épuisée, celle qui doute, celle qui rit, celle qui retient et celle qui lâche. Mais qui dit maternité dit également enfance, et ce film, quelques années avant Miraï, ma petite sœur, met en scène brillamment les défis d’une fratrie dès le plus jeune âge. La dualité des humains et des loups et leur fonctionnement familial respectif permettent à Hosoda d’explorer cette thématique – la fondation d’une famille et l’éducation des enfants – sous toutes ses coutures.
Électron libre
Né en 1967 à Kamiichi, dans la préfecture de Toyama, Mamoru Hosoda est le fils d’un employé des chemins de fer et paysan. Travailler à la ferme n’est pas son destin, Mamoru le sait bien. L’animation dans le viseur, il fréquente d’abord l’université des Arts de Kanazawa. Il tente – hélas, en vain – l’institut de formation du Studio Ghibli. Après avoir intégré Toei Animation, il fait ses armes sur des séries cultes (Dragon Ball Z, Sailor Moon…) et des publicités à gros budget. Au début des années 2000, deuxième rapprochement du Studio Ghibli, nouvel échec. Cette fois-ci, c’est le studio qui veut lui proposer la réalisation de Le château ambulant mais le projet n’aboutira pas.
Après avoir quitté Toei Animation, Hosoda commence à collaborer avec le studio Madhouse et c’est avec eux qu’il réalise La traversée du temps et Summer Wars. Puis vient la création de son propre studio, Chizu, et le premier film réalisé par celui-ci, Les enfants-loups, Ame et Yuki.
Les films qui suivent confirment son succès, avec 5 prix du meilleur film d’animation par le Japan Academy Prize et même une nomination aux Oscars avec l’épatant Miraï, ma petite sœur (2019).
Le réel, surnaturellement
Si Hosoda n’a pas choisi la voie paternelle du travail des champs, ses films sont des témoignages vibrant de la vie rurale japonaise, voire d’une certaine épique pastorale. Il y a la campagne de Nagano où règne le clan familial des Jinnouchi dans Summer Wars. C’est la campagne fière des seigneurs féodaux, des grandes batailles, des souvenirs qui remontent le fil du temps sur plusieurs siècles. Mais il y a aussi la campagne rude mais libératrice de Les enfants loups, à la fois hostile et généreuse, sage et sauvage. Une campagne qui impose le respect et la solidarité, qui révèle à eux-mêmes les hommes et les bêtes.
Hosoda est également un maître des liens affectifs : amitiés amoureuses, maternités mises à l’épreuve, fratries tiraillées, générations qui se bousculent. C’est un bistouri d’une incroyable douceur que le réalisateur utilise pour cisailler les rapports humains. Pas de grands mots mais des soupirs, des échos, des souffles coupés, des larmes torrentielles.
Mais surtout, chez Hosoda il y a le surnaturel. Un surnaturel qui est toujours au service de l’ordinaire. Un surnaturel des petites choses de la vie. Qu’il s’agisse des boucles temporelles de La traversée du temps, d’une IA encore (toujours moins ?) fictive dans Summer Wars ou des loups-garous de Les enfants loups, Ame et Yuki, la magie n’est pas une fuite du réel mais une voie d’exploration de celui-ci. Les boucles temporelles servent à mieux comprendre la temporalité de l’adolescence, l’IA démesurée sert à mettre en garde vis-à-vis d’un métavers de plus en plus pervasif, les loups-garous sont l’outil parfait pour creuser les enjeux de la quête d’identité. Bref, le surnaturel n’offre pas un univers parallèle mais un monde plus profond, plus vibrant, plus vivant. Tout comme le cinéma de Mamoru Hosoda, naturellement extraordinaire.
(edg)