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Adaptation visuelle poétique et minutieuse du roman culte de Sawako Ariyoshi, la « Simone de Beauvoir japonaise », la BD Les Dames de Kimoto (Sarbacane) signée Cyril Bonin explore l’importance de la transmission sur trois générations de femmes au fil du XXe siècle. La tradition et l’amour mère-fille à l’épreuve de la grande Histoire.

L’amour est un échiquier

L’amour parental, nous voudrions tous l’imaginer comme une bille lancée le long d’un escalier. Il rebondit d’une marche à l’autre, constant dans sa course et fidèle à chaque échelon. Mais la complicité entre générations marche plutôt en quinconce. Les enfants dénichent leurs modèles en biais – chez les oncles et les tantes – ou en sautant la génération qui les précède pour trouver le réconfort chez leurs grands-parents. Cette valse pas toujours harmonieuse des générations est au cœur de la BD Les Dames de Kimoto de Cyril Bonin, adaptation pleine de grâce du roman éponyme de Sawako Ariyoshi de 1959.

Les Dames de Kimoto : trois femmes au XXe siècle

Hana est née à la fin du XIXe siècle dans une famille de la bourgeoisie rurale japonaise. Elle a été éduquée par sa grand-mère et mariée par sa mère. Son époux, qu’elle connaît à peine, est l’aîné de la famille Matani. On pourrait lui trouver mieux mais sa grand-mère sait qu’une mariée ne doit jamais remonter le cours d’un fleuve pour rejoindre son fiancé, car « s’opposer aux lois naturelles est un crime ». Hana est donc mariée et comme toutes les femmes de l’ère Meiji qui se respectent, elle deviendra la parfaite maîtresse de maison. Elle épaulera, voire conseillera, dans la pénombre son mari dans son ascension politique. Elle enfantera dans la douleur mais sans sourciller. Ses enfants, eux, seront tout ce à quoi on ne s’attend pas : un aîné opaque et sans la rapacité des vrais hommes ; une cadette fougueuse en quête de savoir et de liberté.

Hana vs Fumio vs Hanako

Cette cadette, c’est Fumio, la femme de l’ère Taishō. Toute tradition est une cage, toute cage devrait être ouverte. En rupture avec sa mère, elle trouve un havre de complicité chez son oncle Kōsaku, l’outsider des Matani. Elle va à l’université, elle est féministe, elle s’installe à l’étranger avec son mari. Mais c’est là que la vie la rattrape : elle a un enfant et cet enfant meurt. Ce deuil périnatal la pousse à rentrer au Japon et à renouer avec sa propre mère, afin de se réparer. Elle aura une fille, Hanako. Mais pour une Hanako qui naît, il y a une guerre mondiale qui éclate. Dans le contexte brutal et incertain du conflit, l’amour entre la grand-mère et la petite-fille se bâtit, seule construction solide au milieu des décombres.

La tradition : cage, rempart ou nid douillet ?

Aristocrats, élu film japonais de l’année, montre le point de rupture avec la tradition chez les trentenaires d’aujourd’hui. Un demi-siècle plus tôt, Les Dames de Kimoto montre l’étape ultérieure : le pansement de cette même fracture. Le roman d’Ariyoshi et la BD de Bonin interrogent le rôle de la transmission et de la tradition face aux cassures, aussi cycliques que nécessaires, de l’histoire et des générations. Prendre, rejeter, renouer : voici la cadence au rythme de laquelle, finalement, il semble impossible d’échapper. Et ce n’est peut-être pas plus mal. EDG

112 pages, 19,99€. Parution : 2 mars 2022.