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« Petits enfants, petits soucis » dit le dicton. Au Japon, on pourrait dire : « Petits enfants, grosses responsabilités » ! C’est du moins ce qu’on découvre en regardant les premiers épisodes de la série Comme des grands sur Netflix. Adorée par le public japonais et inlassablement reconduite, la série suit des enfants (dangereusement petits selon les standards occidentaux) ayant affaire à leurs premières commissions. La série, en plus de réchauffer les cœurs à grands coups de petites bouilles absolument kawaii, en dit long sur la place de premier plan qu’ont les enfants dans l’espace urbain et le tissu social…

(c) Shin Noguchi


Comme des grands
: les premières commissions, c’est la grande aventure

Vous pensez que votre bout de chou de 2 ans se débrouille bien ? A-t-il déjà parcouru 1,5 km et traversé seul une autoroute pour vous acheter de la sauce soja ? Vous voilà à jamais déçus. De rien, plaisir d’offrir. C’est pourtant ce que fait Hiroki, 2 ans, 9 mois et quelques dizaines de centimètres de hauteur. Avec son petit drapeau à l’attention des véhicules, son porte-monnaie, sa gourde gigantesque et ses (adorables) sandales qui font pouet-pouet, Hiroki part à l’aventure.

Le pitch de Comme des grands est à la fois terriblement basique et incroyablement audacieux : suivre des tout-petits dans leurs premières commissions seuls. Le titre du format original est d’ailleurs Hajimete no Otsukai (« Mes premières commissions »). Si Netflix propose au public international une première saison datée de 2013, le programme est reconduit au Japon depuis 1991. Comme quoi, bien que tous les bambins, nippons ou pas, ne soient pas aussi indépendants qu’Hiroki, ces premières tâches d’enfants ont une place au cœur de l’éducation – sentimentale et citoyenne – des Japonais.

(c) Shin Noguchi

Le cocktail qui mélange familier et déroutant

La série est indéniablement addictive. À son format poche (10 minutes par épisode), parfait pour la pause café, s’ajoute un cocktail très déroutant entre nos réactions face à la douceur de l’enfance (« awwwwww ! ») et face à l’incroyable indépendance propre aux enfants japonais (« wooooooow ! »). Nos repères éducatifs se brouillent et la conscience du parent occidental est tiraillée. « Est-ce bien raisonnable ? » s’oppose à « Bien joué, les mômes ! » sans réussir à trancher.

Nos repères spatiaux se perdent aussi. Filmée en caméra cachée, la série est littéralement à hauteur d’enfant. Toute distance devient gigantesque : toute marche à gravir, pente raide, sac de course rempli à craquer prend des proportions titanesques. Notre regard sur le vécu des tout-petits s’affute.

(c) Shin Noguchi

Les enfants dans la ville, la ville pour les enfants

Impossible pour un parent français ne pas éprouver une pointe de compétitivité (côté perdant) en voyant ces bout de chou plus dégourdis qu’un adolescent moyen. Et en même temps, impossible de s’imaginer proposer, voire imposer, à un bambin d’une quelconque ville occidentale une mission seul sans craindre pour son intégrité physique à lui (et notre casier judiciaire à nous).

Ce que Netflix révèle avec Comme des grands, ce n’est pas seulement un modèle éducatif mais sa mise en place sur le plan urbain. Vouloir un enfant dégourdi et lui apprendre l’autonomie, ça ne se fait pas tout seul. Il faut une réponse citoyenne globale, c’est-à-dire des adultes étrangers à qui on sait pouvoir faire confiance. Et il faut que la ville soit physiquement abordable par un enfant.

La série le montre bien : les enfants demandent de l’aide aux inconnus qui, systématiquement, répondent positivement à leurs requêtes. Interpeller un adulte inconnu, voilà l’une des premières leçons… de choses à ne pas faire chez nous ! Par ailleurs, même quand les épisodes sont filmés dans des métropoles, on ressort avec une impression de ville province, voire de milieu rural. La raison est simple : l’urbanisme japonais est conçu en petits quartiers autonomes, ce qui permet de gérer son économie domestique à pied.

Par ailleurs, les îlots urbains sont petits, ce qui crée de nombreux carrefours avec autant de passages piétons. Autant vous dire que les automobilistes font attention aux piétons, surtout quand ils font moins d’un mètre ! On remarque en voyant la série l’absence, rédhibitoire chez nous, des trottoirs. Mais c’est justement en privant les véhicules d’une possible zone franche (voire d’une place de parking sauvage) que leur attention est dédoublée.

It takes a village…

Notre regard sur les méthodes éducatives étrangères est souvent embué d’attentes, de frustrations et de pressions sociales. La tentation de louer aveuglement une culture ou de la rejeter en bloc est grande et sournoise. Malgré la délicieuse candeur de ses protagonistes, Comme des grands nous laisse autant enchantés et que tétanisés. Ce qu’il faut sans doute retenir de positif, c’est l’effort collectif. Aucune famille n’est laissée seule avec la responsabilité de l’éducation et de la bienveillance. C’est une affaire de tous, petits et grands, individus et décideurs. C’est une question de temps et d’espace(s). Et c’est aussi une vraie aventure pour les parents, que de voir leurs petits devenir grands ! EDG

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