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Un livre de Vanessa Montalbano


Partout dans le monde, le dating n’est pas une science exacte. Au Japon, ça ressemble plus à un art de la guerre, avec ses stratégies, ses règles et ses embuscades. Dans son Tokyo Crush, l’expat Vanessa Montalbano nous livre les secrets de la parade amoureuse nippone.

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L’amour est un sport de combat

De tous temps, la recherche de l’amour a toujours eu besoin de coups de pouces. Les bancs de l’église employés comme observatoires des cœurs à prendre. Les bals du dimanche (juste après l’église) pour bousculer la théorie dans la grande arène de la pratique. Et puis, à toutes les latitudes, le talent stratégique des marieuses, des apparieurs, des entremetteuses en tous genres. Décidément, les applis de rencontre n’ont rien inventé. Elles n’ont fait que modéliser un art millénaire et transculturel.

Vanessa Montalbano est française. Sur un semi-coup-de-tête, elle part il y a quelques années au Japon pour un Programme Vacances-Travail. Ce qui devait être une expérience sans lendemain s’est transformée en grand amour et projet de vie. Mais – Vanessa Montalbano le dit sans embarras – l’amour pour Tokyo est plus facile que l’amour à Tokyo. Sur les applis de rencontre ou à l’izakaya où elle a dégotté un job, rencontrer l’autre est à la fois terriblement simple et incroyablement complexe.

Vanessa Montalbano  © Patrick Fouque

Le japonais est un sport de combat

« On dit qu’il ne faut pas apprendre une langue étrangère avec un seule personne. » Dès son arrivée à Tokyo, Vanessa Montalbano comprend à quel point cette phrase est vraie, voire inéluctable. Car, en matière d’amour et d’applis de rencontre, il n’y a pas qu’une langue à maîtriser. Cela est d’autant plus vrai avec le japonais, ses alphabets et ses épaisseurs linguistiques, plus ou moins cachées les unes sous les autres, comme les couches d’un kimono.

Il y a d’abord le keigo, le système de politesse. Une porte entrouverte aux allures de muraille infranchissable, même pour les Japonais. Les premiers matchs de Vanessa Montalbano se ressemblent dans leur courtoisie lisse et distante. Il faut attendre les dates et le kokuhaku – la déclaration par laquelle commence toute relation amoureuse – pour gratter du langage les suffixes honorifiques, les règles rigides du keigo et commencer à être un peu soi-même.

Mais dans la société très genrée qu’est le Japon, la langue est elle même divisée. Il y a le joseigo (le langage pour femme) d’un côté, le danseigo (le langage pour homme) de l’autre, et gare aux emprunts entre sexes. On ne pourrait citer une culture latine qui possède un arsenal lexical aussi foisonnant, spécifique, imagé que le japonais des transactions amoureuses.

Mais on revient toujours à la question de l’œuf et de la poule : le japonais s’est-il moulé sur les besoins des Japonais ? Ou bien les Japonais ont-ils été pris en otage des possibilités infinies de leur langue ?

Être une femme est un sport de combat

Quand on parle de Japon, il n’est pas rare que la binôme « traditionnel » et « ultramoderne » soit évoqué en premier. Celles qui en font les frais sont, comme toujours, les femmes. Encore aujourd’hui, les Japonaises sont prises en étau entre des appels à l’indépendance économique et existentielle et des attentes de domesticité (pas si latentes que ça). Montalbano le dit, encore en 2007 le Ministre de la Santé de l’époque avait défini la femme comme une « machine à enfanter ».

Montalbano passe au Japon le cap périlleux de la trentaine – cap qui se révèle mortellement dangereux en cas de célibat – et assiste sous ses yeux à la mutation des attentes que la société a d’elle qui, étant gaijin (étrangère), a son lot de fantasmes supplémentaires à gérer.

Dans les années 1980, on définissait une jeune fille de plus de 25 ans kurisumasu kēki, « gâteau de Noël » car, tout comme elle, le gâteau de Noël devient rassis après le 25. Si ce terme n’est plus employé, on continue d’appeler himono onna (« femme poisson-séché ») toute femme célibataire de plus de 30 ans. Quand sonne la fin de la vingtaine, s’ouvre la saison de la « chasse au mari » (konkatsu), ô combien sauvage.

Il faut être une ageman, une femme qui améliore la vie de l’autre ; faire preuve de joshiryoku, talents domestiques, jusqu’à devenir aisaibento (littéralement, « amour + femme+ bento »), une épouse qui prépare ses repas au mari. Ces maris qui travaillent jusqu’à pas d’heure pour entretenir des femmes qui souhaiteraient parfois travailler mais que l’on s’attend à voir sagement à la maison. Ces hommes qui, d’après l’écrivaine Maki Fukasawa, sont de plus en plus des sōshoku danshi, des « hommes herbivores » qui ne s’intéressent pas ou plus à la sphère sexuelle et amoureuse.

Rendez-vous à Tokyo

Que l’on soit sur le marché des cœurs à prendre ou pas, Tokyo Crush de Vanessa Montalbano est un guide étrangement savoureux de la capitale nippone. Avec ses hommes à l’image du quartier où ils vivent, ses tours où chaque étage réserve une surprise (izakayas, sentos, bars à hosts, bars à chats, love hotels…), les rituels qui ne sauraient avoir un autre domicile que cette mégalopole en particulier. Un Tokyo secret qui pourtant s’affiche partout, criard, aussi ambivalent que le Japon. Aussi ambivalent que l’amour, en fait.

EDG.

Parution : 13 avril 2023 / 208 pages / Les Arènes