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Un livre de Kazuhiro Kirishima

La palpitante autobiographie du champion Kazuhiro Kirishima porte un sous-titre qui est plus qu’un proverbe ou un programme : c’est une promesse. « Le blé que l’on foule croît plus fort. » Une enfance pauvre dans le Japon rural et le sumô comme unique issue de secours : la parabole de l’«Alain Delon japonais» est un match à l’issue toujours incertaine et une fenêtre sur l’une des facettes les plus insaisissables de la culture japonaise.

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Sumô : sport, foi, philosophie

Il y a des sports qui n’en sont pas. Ils sont plus, ils sont autre chose. Le Palio de Sienne, le bouzkashi afghan, le sumô. Aux règles des compétitions se superposent, telles les épaisseurs cachées d’un kimono, des couches insolites, inconcevables. Le rite, la foi, l’insaisissable. La liturgie qui accompagne le sumô est le sumô, au même rang que le corps-à-corps des rikishi qui ne dure, lui, qu’une poignée de secondes.

La légende raconte que le sumô est aussi ancien que le Japon. On pourrait presque dire que le Japon est né de l’entrechoc d’un combat de sumô. Selon le Kojiki (712), les dieux Takemikazuchi et Takeminakata se seraient battus lors d’un combat de sumô. La victoire du premier fit obtenir à son peuple la possession des îles japonaises et jeta les fondations de l’actuelle dynastie impériale. Ce qui est sûr, c’est que le sumô existe depuis un millénaire et demi, né dans le terreau fertile des rites shintoïstes.

Mémoires d’un lutteur de sumô… qui ne fait rien comme les autres

Kazuhiro Kirishima a été plus qu’un rikishi (littéralement « homme fort ») de renom et champion à la carrière rebondissante. À travers Mémoires d’un lutteur de sumô, son autobiographie sortie initialement en 1992 au Japon et sans cesse rééditée, Kirishima conduit le lecteur au sumô par un chemin inattendu. Il n’ouvre pas les portes de sa discipline mais plutôt son entrée de service. En nous racontant tout ce à quoi il n’a pas obéi, tout ce qu’il n’a pas réussi à accomplir, tout ce qu’il a fait au nez et à la barbe des traditions, il nous offre le sumô par son calque.

Issu d’une famille très pauvre de Makizono, Kirishima n’a pour lui qu’un corps grand et costaud. Son envie de sortir sa famille – et sa mère en particulier – de l’indigence, le mène vers le sumô. Sa vie durant, ce grand gaillard surnommé le « Alain Delon japonais » luttera toutefois pour devenir aussi gros que ses adversaires. Alors que la discipline proscrit tout exercice « étranger », il se passionne pour le jogging et la musculation, qu’il pratique longtemps en cachette. La rencontre (délicieusement saugrenue) avec celle qui deviendra sa femme, Naoko, marquera un tournant dans son parcours. Elle se donne pour mission de l’épauler dans cette lutte pour et contre la nourriture. Elle élabore des plans alimentaires, l’accompagne en entrainement, enregistre ses matchs. Ses victoires à lui sont les siennes à elle. Ses défaites aussi.

L’envers du sumô

Contre une certaine logique, Kirishima ouvre son cœur avec une aisance qui n’a rien de japonais. Comme il le dit lui-même, il désapprouve ce proverbe nippon qui dit qu’il faut « enfoncer tout clou qui dépasse ». Alors il nous raconte tout : l’importance de sa famille qui dépasse celle de sa confrérie, ses défaites, ses doutes, ses passions, son refus de l’alcool. Les grands marqueurs de la virilité – au sein et en dehors du sumô -, il s’en déleste bien volontiers.

Peu à peu, d’un écart à la règle à l’autre, le sumô se dévoile enfin. La rencontre de deux corps titanesques au sein de cet « espace étrange » qu’est le dohyô, le cercle magique où tout se joue en l’espace d’une respiration coupée. Les règles et les rites. Ce qui fait l’honneur et le déshonneur de chaque rikishi. Cette fascinante phase de mise au diapason de deux adversaires pendant les quatre minutes de shiko.

Une question de poids

Dans sa très belle traduction, Liliane Fujimori a le talent d’attirer l’œil du lecteur sur la sémantique du poids. « Impondérable », « pondération », « responsabilité » (tous issus du latin pons, « poids »). Mais aussi « le poids de », « lourd de ». Le mot s’épaissit et prend de la masse, tout comme Kirishima au fil de ses entraînements et de ses éreintantes séances alimentaires. Tout pèse dans le sens où tout devient important. Et, comme dans le sumô professionnel où il n’y a pas de catégorie de poids, les choses petites peuvent affronter les grandes et – pourquoi pas – les renverser. Kirishima nous l’a appris par l’exemple.

EDG

Première parution : 1996 / 272 pages / Editions Picquier

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