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PERFECT BLUE

de Satoshi Kon

avec Junko Iwao, Rica Matsumoto, Shinpachi Tsuji, Masaaki Ōkura

1997 – Japon – 1h21

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Mima a 21 ans, elle est idol et fait partie des CHAM, girl band en pleine ascension. Mais Mima fait sensation quand elle annonce vouloir se reconvertir vers une carrière d’artiste, épaulée par ses deux agents, Tadokoro et Rumi. Dès son premier tournage commencé, un tournage qui promet de ternir l’image innocente de l’ancienne idol, des faits de plus en plus inquiétants et macabres se produisent : un fan harceleur qui étale la vie de Mima dans ses moindres détails sur Internet, des accidents, des menaces et enfin des meurtres. Quand la fiction s’entremêle à la réalité et les hallucinations interfèrent avec la vie, rien n’est plus ce qu’il semble…

La beauté du cinéma, c’est quand une œuvre démultiplie ses messages à chaque décennie qu’elle prend. Le miracle, c’est quand elle prédit le présent, à chaque décennie qu’elle traverse. Perfect Blue de Satoshi Kon (né à Kushiro en 1963 et disparu prématurément 47 ans et 4 long-métrages plus tard) a beau être ancré dans la réalité des années 1990, de la télé et des prémices d’internet, il résonne encore plus fort qu’à l’époque, presque vingt-cinq ans plus tard, à l’époque des réseaux sociaux et des dérives de la vie sous avatar.

Le film est d’autant plus criant d’actualité pour certains aspects qui ne sont pas contemporains en soi (hélas) mais qui ont gagné l’accès au langage courant et, par cette même porte, aux devants de la scène : harcèlement, male gaze, emprise, des réalités sexistes aussi anciennes que le monde mais que l’on n’a de moins en moins de mal à identifier et à dénoncer.

Après tout, la crise existentielle du personnage principale naît du poids des attentes de ses fans (tous hommes) et de ses collaborateurs (tous hommes, toujours) : qu’il s’agisse de la pureté programmatique de la Mima idol ou de l’hyper-sexualisation de la Mima actrice, il est difficile pour le personnage lui-même de distinguer la pression extérieure de son plein gré, ses ambitions et le rôle que les hommes veulent lui faire tenir. Les hautes attentes « trahies » de ses fans, de son harceleur, de ses agents, de sa mère au téléphone s’opposent à une intimité somme toute plutôt simple et très solitaire, comme celle de nombreux jeunes japonais urbains, et l’écrasent.

Aux doutes existentiels qui empirent tout au long du film Satoshi Kon répond avec ambiguïté et ambivalence : ainsi, à la scène mémorable où Mima est absorbée par la mémorisation de ses répliques, ou pour mieux dire, de la seule et unique phrase « Qui êtes-vous ? » qu’elle répète inlassablement, comme en s’adressant à elle-même, fait écho la déroutante scène finale où une Mima décidément plus affirmative s’adresse à elle-même et au spectateur avec un franc, mais pas pour autant plus compréhensible, « C’est moi la vraie Mima ».

Puisant son inspiration chez David Lynch, Brian de Palma ou encore Terry Gilliam et inspirant à son tour Darren Aronovsky (dont la scène de la baignoire dans Requiem for a dream est tirée, plan par plan, de Perfect Blue), Satoshi Kon maîtrise à merveille les jeux de miroir : plus on avance dans le film et plus la ligne entre le set et la vie réelle, la fiction du scénario de Double lien (titre aussi parlant qu’ambigu), le film dans lequel joue Mima, et sa propre vie, les hallucinations et les événements, les flash-back et le présent s’amenuise et se brouille. Finalement, la fiction semble l’emporter sur la réalité – et faire encore plus mal, comme dans l’insoutenable, et cinématographiquement extraordinaire, scène du faux viol. L’extraordinaire polarisation des couleurs (le rouge de la corporalité vs le bleu du psychique) rajoute des épaisseurs de sens à un arsenal d’images déjà puissamment symboliques.

On se demande ce que Perfect Blue va encore dire de nous dans vingt ans que nous n’aurions jamais pu prédire. Rendez-vous en 2041, Satochi Kon.

(edg)