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Senses, de Ryusuke Hamaguchi
avec Sachie Tanaka (Akari), Hazuki Kikuchi (Sakurako), Maiko Mihara (Fumi), Rira Kawamura (Jun)
En salles le 02 Mai – Japon – Épisodes 1&2 (2h20) ♦ le 9 mai, épisodes 3&4 (1h25) ♦ le 16 mai, épisode 5 (1h15)

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À Kobe, au Japon, quatre femmes partagent une amitié sans faille. Du moins le croient-elles : quand l’une d’elles disparaît du jour au lendemain, l’équilibre du groupe vacille. Chacune ouvre alors les yeux sur sa propre vie et comprend qu’il est temps d’écouter ses émotions et celles des autres… Une fresque passionnante d’une ampleur inégalée. Le film japonais de 2018.

Au Japon, 100 000 personnes disparaissent chaque année sans laisser de traces. On les appelle les « évaporés ». C’est ce que va devenir Jun, l’une des héroïnes, après avoir prononcé son divorce, laissant ses trois meilleures amies dans le plus grand désarroi. Sa disparition va entraîner un séisme intime en chacune d’elles, les amenant à questionner leur amitié comme leurs vies respectives.

Ryusuke Hamaguchi donne dans Senses une ampleur inédite à la situation en libérant de manière parfois violente une parole trop longtemps mise en sourdine. Sans rien montrer d’une hystérie généralisée ou d’actes physiques extrêmes, leur chamboulement émotionnel n’en est pas moins intense. Il est à la source de remous intérieurs qui vont les pousser à se poser des questions essentielles, à même de changer la destinée de chacune, parce que les réponses apportées s’émancipent du poids moral de toute une société : Comment aimer ? Peut-on avoir confiance en l’autre ? Doit-on tout se dire ? Ai-je la vie que je souhaite ?

Pour éviter des réponses toutes faites, Hamaguchi prend le temps d’une analyse collective, notamment par le biais d’un atelier de communication auquel participe la bande d’amies. Celui-ci va avoir un effet cathartique imprévu. Un des exercices consiste en effet à se toucher — écouter le ventre de son voisin, lire dans ses pensées en collant son front sur le sien — chose rare au Japon où la pudeur est de mise. Ces gestes, simples mais inhabituels, ne vont pas se contenter de mettre le doigt sur des sensations physiques et l’importance de prêter une attention au corps : ils vont déclencher au passage une véritable bombe à retardement, faisant éclater les faux-semblants, mettant à jour tout un système de mensonges et de dissimulations liés au statut et à la condition féminine, dans un monde moderne qui persiste à vouloir les contraindre dans des codes et des schémas patriarcaux (pas propres au Japon mais dont les aspects paraissent ici inouïs de notre point de vue occidental et biaisé…). Va s’en suivre un apprentissage qui ira instiller jusqu’à leurs proches : la nécessité d’écouter, de parler, de ressentir… Et de suivre son instinct.

Cinq épisodes ne sont pas de trop pour explorer le cheminement intérieur de ces quatre Japonaises et leur rendre une parole trop longtemps empêchée. Vivre ainsi au plus près des émotions des personnages est un privilège suffisamment rare pour qu’on s’en délecte pleinement. Les formats calibrés des films (notamment : leur durée moyenne) ne le permettent qu’occasionnellement. À la fin de Senses, cette impression de quitter quatre amies proches, avec leurs qualités et leurs défauts, nous ferait presque espérer une suite à ce récit fleuve, galvanisant, prenant et toujours passionnant. A.M