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Ryoko Kui, Gloutons et Dragons, tomes 1-6, Casterman

Traduit par Sebastien Ludmann

13 x 18 cm

192 pages

 

 

 

Yarô Abe, La cantine de minuit, Le Lézard Noir

Traduit par Miyako Slocombe

15 x 21cm

300 pages

 

 

 

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(Essayer de) parler de BD, de Japon et de cuisine, non, de BD culinaires japonaises, est aussi vain, bêtement audacieux et forcément réducteur que de vouloir résumer en dix lignes l’histoire de la littérature mondiale consacrée à l’amour. Mais parce qu’ici on est vain, bêtement audacieux et forcément réducteur, on va (essayer de) le faire quand même. Que la BD, le Japon et la cuisine nous pardonnent.

On s’aperçoit vite de l’ampleur de la tâche et de la petitesse de nos moyens quand on découvre qu’il y a une page Wikipédia spécialement consacrée à la gastronomie dans le manga. Ce n’est plus de l’amour, ça, c’est une passion – littéralement – dévorante. Alors au lieu de (mal) résumer, cantonnons-nous à picorer, en choisissant deux BD culinaires comme on choisirait deux plats dans un (immense) buffet. Au bonheur du pif.

S’il est vrai que la cuisine de chacun est unique et qu’aucune recette ne ressemble jamais vraiment à une autre, on peut dire de même de la façon qu’ont les dessinateurs ou les mangaka de traiter la même matière.

Pour commencer ce petit tour de BD culinaires, installez-vous au comptoir de La Cantine de Minuit de Yarô Abe (Lézard Noir). De minuit à sept heures du matin, le patron au charme lunaire et à l’oreille attentive accueille les animaux de la nuit tokyoïte. Un menu tout simple est proposé mais, précise-t-il toujours, « vous pouvez commander n’importe quel autre plat. Si j’ai de quoi vous le préparer, je le ferai ». Chaque client pénètre dans ce havre de paix nocturne avec sa cargaison de joies et de chagrins, d’espoirs et de battements de cœur, de passé à panser et de futur à repenser.  Et, bien sûr, il reçoit en retour un plat qui sait parler à son cœur.

Un yakuza au cœur tendre, une strip-teaseuse au tempérament fougueux, une jeune gourmande dont les courbes plaisent tant mais qui cherche vainement à les perdre, des pères, des fils, des chanteuses mélancoliques, des liaisons improbables : au comptoir où l’on mange plus que l’on ne boit, tout se retrouve, tout se partage et nul n’est vraiment triste.

La simplicité du trait va de pair avec la douce franchise de l’auteur. S’en dégage une chaleur rassurante qui nous donne l’impression, l’espoir peut-être, que le monde se résume, ne serait-ce que le temps d’une nuit, à une pièce embaumée de parfums de cuisine d’intimités partagées.

On émerge de la lecture avec un appétit bien plus que gastronomique ou touristique : on rêve que la vie nous mène vraiment, par un hasard plus ou moins heureux, au comptoir d’un petit restaurant de Tokyo, entre minuit et sept heures du matin, et qu’un homme au charme lunaire nous propose un plat. Et son oreille attentive.

Si La Cantine de Minuit est une ode à la cuisine, Gloutons et Dragons de Ryoko Kui (Casterman) est une chanson de gestes dont le héros est la faim. On ne parle plus de fringale, d’appétit ou de petit creux mais d’une dalle gargantuesque, de cette faim d’adolescent capable d’ingurgiter sans séquelles tout le contenu d’une boulangerie, d’un trou au ventre aussi profond que le labyrinthe où pénètrent nos héros.

Laïos, l’elfe Marcyle et le petit voleur Tylchak retournent chercher leur amie et coéquipière Farynn, sœur de Laïos, qu’un dragon a ingurgité. Parce qu’il y a toujours une lueur d’espoir au bout du tunnel (ou du tube digestif, c’est selon), les dragons emploient plusieurs semaines à assimiler leurs proies. La bande cherche donc à  récupérer Farynn avant que le pire (beurk) arrive. Seul problème ? Si le dragon a bien l’estomac plein, la bande, elle, commence à avoir faim, toutes ses victuailles s’étant perdues au cours de la mésaventure. Seule solution ? Affronter les monstres de ce donjon non pas pour les tuer (enfin, si), mais pour les manger. Grâce à Senshi, un nain gastronome rencontré le long du chemin, nos héros apprendront à cuisiner du slime, du basilic (la bête, pas la plante) et de la mandragore. Chaque chapitre-aventure est le prétexte pour une nouvelle recette loufoque mais si précisément détaillée qu’elle en devient crédible, voire alléchante.

Le rythme et la mise en scène sont ceux très mouvementés du manga, tout en humour,  coups de théâtre improbables et énergie tonitruante. Le détournement culinaire, aussi drôle que plein de respect, des codes du fantasy réussit à rallier autant les fanatiques du genre que les gourmets de tous les âges.  Et si le gastronomic fantasy a de beaux jours devant lui, nos estomacs réclament désormais leur part du dragon.

(edg)