
Harajuku. Quatre syllabes, mille facettes, un million de nuances. Derrière sa façade branchée et désinvolte, que cache l’un des quartiers les plus iconiques de la capitale japonaise ? La plus nippone des frenchies, Vanessa Montalbano, déjà autrice de Tokyo Crush, revient, avec Vu à Harajuku (Les Arènes), sur un nouvel aspect de son amour toujours mouvant du Japon : son quartier. Entre mouvances pop et sous-cultures, entre diktats de beauté et vie de bureau, Harajuku se dérobe en même temps qu’il s’affiche. Dans ses élans vers l’Occident, il dit beaucoup plus du Japon qu’il ne paraît.
Destination Harajuku
Dans la capitale japonaise se trouve un arrondissement : Shibuya. À Shibuya se trouve un quartier : Jingumae. Dans le quartier de Jingumae se trouve un sous-quartier : Harajuku. Posez vos valises : vous êtes arrivés.
Desservi par les premiers transports en commun dès 1909, Harajuku n’attire guère l’attention pendant la première moitié du XXe siècle. C’est lors des Jeux olympiques d’été de 1964 que l’urbanisation du quartier prend de la vitesse et de nombreuses boutiques voient le jour.

Cut : nous sommes quelques années plus tard, dans les années 1970. Harajuku est une fournaise d’avant-gardes. La mode et le rock y ont élu domicile. Rien ne semble effrayer ses habitants ; surtout pas les conventions. Dès lors, la réputation de Harajuku est acquise, bien que ses sous-culture aient été délogées par les grandes enseignes du luxe et du mainstream. Silencieusement, mais certainement pas dans l’ombre, l’âme de Harajuku résiste.
Destinée Harajuku
Après Tokyo crush, journal sentimental aussi délicieux que déboussolant, Vanessa Montalbano revient avec un nouvel essai intime. Cette fois-ci, elle s’attaque à son quartier : Harajuku. Parce que Harajuku, c’est son vrai premier crush. En effet, dès son adolescence parisienne, Harajuku s’était frayé un chemin dans ses rêveries à travers les revues importées, achetées à prix d’or avec son argent de poche. Sur les pages des magazines dont elle est bien incapable de déchiffrer un seul mot, des femmes et des hommes aux tenues audacieuses, impossibles à arborer en France.
Quelques années plus tard, un permis vacances-travail en poche, Montalbano est au Japon. La faune bariolée qui peuplait ses rêves et ses revues évolue désormais devant elle. Elle pourrait en faire partie, si elle osait troquer son style épuré soooo parisian contre une tenue pastorale à volants ou un sailor fuku.
Ici, les salarymen ternes des jours de semaines se transforment en Elvis – tenue et coiffure on point – les samedis matin. Les gothic lolita ne sont pas à confondre avec les sweet lolita ou les casual lolita. Les shufu, les femmes au foyer, arborent les codes BCBG de leur vie rangée.
Les secrets de la voisine

Dans son voyage intime dans la vertigineuse variété des sous-cultures locales, Vanessa Montalbano sera accompagnée d’un Virgile tout à fait inattendu : sa voisine Hana. Hana, c’est la démonstration physique du propos, du Harajuku pur jus, du Japon dans toute sa contradiction. Parce qu’Hana, à première vue, est comme toutes les office ladies qui arpentent les rues du quartier dans leurs ensembles sobres et leurs escarpins élégants. Parfaites – et parfaitement transparentes.
Si ce n’est qu’un jour, après des mois (des années ?) de salutations discrètes dans l’ascenseur, Montalbano la croise dans une tenue de lolita inespérée : volants, nœuds, rubans et féminité outrancière. Surprise en flagrant délit de double vie, la voisine se dévoile au fur et à mesure de leur amitié. Avec elle, les portes du quartier s’ouvrent un peu plus pour la Française.
Contradictions couleur Japon
Hana n’est pas la seule à faire cohabiter deux âmes dans une seule garde-robe. Côté hommes, les diktats se font au sein de l’entreprise : performer, travailler tard, boire des coups avec les collègues et le patron. Côté femmes, les attentes pèsent côté cour et côté jardin. On s’attend d’elles qu’elles soient belles (mais pas trop), discrètes (jamais assez). Qu’elles travaillent beaucoup mais qu’elles arrêtent net après la naissance de leur premier enfants. Visiblement, l’invisibilité est une qualité qui se bosse dur. Qu’on s’en accommode ou pas, chacun a ses exutoires pour tenir le cap.
Qu’il s’agisse des looks ultra-voyants des sous-cultures ou des détournements plus ou moins timides des uniformes scolaires, Harajuku est un cas d’école. Il incarne tout le poids des attentes que la culture japonaise fait peser sur ses habitants, mais aussi leurs stratégies de déjouement. La règle, la désobéissance, l’exception ou la sourde oreille.
Car une culture ne se révèle pas toujours dans ce qu’elle souhaite perpétuer mais aussi dans ce dont elle cherche désespérément à se délester.
(EDG)