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Wonderland, le Royaume sans pluie de Keiichi Hara
avec les voix de Mayu Matsuoka, Anne Watanabe, Masachika Ichimura, etc.
En salles le 24 Juillet – Japon – 1h55

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Akané est une jeune fille rêveuse. La veille de son anniversaire, elle se rend chez sa tante antiquaire pour récupérer son cadeau. Dans l’étrange bric-à-brac de la boutique, elle pose sa main sur une pierre magique. S’ouvre soudain un passage secret vers le monde de Wonderland, qu’il va falloir sauver de la sécheresse. Le meilleur anime de 2019.

Le cinéma d’animation japonais est probablement celui qui parvient avec le plus de souplesse et d’élégance à joindre le merveilleux à la défense d’une cause. Les chefs d’oeuvre en la matière demeurent les indétrônables Voyage de Chihiro (2002) et Princesse Mononoké (2000) de Hayao Miyazaki, bien sûr, et Le Tombeau des lucioles (Isao Takahata, 1988), pour leur critique vive des sociétés humaines, sublimée par un déploiement créatif d’une beauté sidérante. C’est au tour de Wonderland, le royaume sans pluie d’apporter sa pierre à l’édifice des causes, avec cette fable écologique où la sécheresse draine les couleurs et l’énergie du monde magique de Wonderland.
Le printemps est là, c’est une explosion de soleil et d’ardeur. Akané ne voit pourtant pas la vie qui bourdonne autour d’elle, merveilleuse. Elle n’écoute que son vague à l’âme, la petite voix intérieure qui lui fait broyer du mou. Quel étrange spleen, quand on a l’avenir devant soi… C’est peut-être le lot de tout(e)s les (pré)adolescent(e)s. N’être pas très à l’aise dans un corps qui change, pas aussi brave que l’on voudrait. Se chercher sans savoir où aller, puis se réfugier dans le confort d’un groupe qui peut être parfois aveuglément cruel, mais qu’on suit par peur d’être rejeté. Tout cela est montré en quelques séquences légères, aux couleurs chatoyantes et acidulées qui décrivent joyeusement le contraste entre la vie intérieure d’Akané et le microcosme pourtant privilégié dans lequel elle évolue. Comme déconnectée. Devenue insensible à son environnement, à cause de la technologie, des défis de géants que des petites épaules doivent porter. N’y-a-t-il pas toutes les raisons pour s’avouer d’office vaincu ?
Lorsque la mère d’Akané, à la patience angélique, lui demande d’aller chercher un cadeau dans la boutique de sa tante Chii, le réflexe pavlovien d’Akané est évidement de rechigner. Mais très vite, le bric-à-brac du magasin, l’empilement d’objets insolites et la spontanéité solaire de sa jeune tante l’apaisent. Fascinée par les bibelots de la boutique, Akané tripotent tous ceux qui passent à sa portée. Jusqu’à ce que sa main reste coincée dans une empreinte et que la porte s’ouvre sur un nouveau monde… Duquel deux personnages surgissent : un alchimiste énigmatique du nom d’Hippocrate et son adorable apprenti, le minuscule Pipo. Tout cela n’est que le début d’un longue et merveilleuse aventure qui va entraîner Akané et ses nouveaux amis au cœur de Wonderland, dont elle serait l’ultime rempart contre la terrible sécheresse qui menace le royaume.
De Keiichi Hara, on se souvient de l’étonnant premier film Un été avec Coo (2007) comme de son bouleversant Colorful (2010) et de l’encensé Miss Hokusai (2015). Avec Wonderland, le royaume sans pluie, il excelle cette fois dans l’art de construire un monde. Avec une ambition visuelle particulièrement soignée qui jongle entre plusieurs univers, s’autorisant des ruptures de ton fertiles et hautes en couleurs, il déploie ici tout son imaginaire féérique. Il y aura bien sûr un prince qui, contrairement à d’autres, renoncera d’abord au pouvoir, effrayé par le désastre écologique à surmonter. Mais aussi des personnages secondaires comme on rêverait d’en voir, allant des moutons si molletonnés qu’il est possible de faire une sieste dans leur laine, en passant par des oiseaux et poissons géants, des drôles d’animaux machine, des lutins-amis, le tout sur un fond d’animation peaufinée, en parfaite osmose avec toutes sortes de paysages merveilleux, dont on s’extasie forcément. Mais malgré son étrangeté, ce monde pourrait être le reflet du nôtre s’il avait évolué différemment. Là-bas aussi il y a des campagnes luxuriantes aux couleurs magiques, des villes de bruit, de fer et de rouille, qui polluent aveuglément. Là-bas aussi les habitants redoutent que l’eau viennent à manquer et se demandent comment lutter, espèrent… Là-bas encore il faut apprendre à reprendre la pleine mesure de la beauté et éviter le gâchis, en renouant avec son inconscient, ses rêves, sa mélancolie des civilisations éteintes et des légendes. Ce périple initiatique va transformer durablement Akané, lui permettre de découvrir qui elle est vraiment, à s’aimer et, par ricochet, à aimer l’univers et la nature qui l’entoure, à vouloir le protéger. Elle aurait presque des airs de Greta Thunberg, la Suédoise de 16 ans bien décidée à faire évoluer les mentalités qui proférait aux dirigeants du monde qu’ils « ne sont pas assez matures ». C’est ainsi que Wonderland, le royaume sans pluie est un film pour les enfants qui grandissent, prennent conscience du monde environnant et des menaces qui pèsent sur lui mais aussi un film pour les adultes – nous – qui avons parfois oublié d’en prendre conscience à leur âge. De quoi vous faire particulièrement apprécier les pastèques, abricots et melons qui parsèmeront vos assiettes cet été, vous rendre attentifs à l’eau qui coule et à la nature, si sensiblement liée à nos consciences humaines, quoiqu’on l’oublie souvent… A. F.