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Uketsu, Strange pictures, Seuil.

Traduit du japonais par Silvain Chupin

288 pages

Format : Broché

Des disparitions inquiétantes, des cold cases, des meurtres dérangeants, des hommes qui sortent de l’ombre. Les histoires de Strange Pictures (Seuil), emboîtées les unes dans les autres comme dans un Rubik’s Cube, ont un point en commun : les dessins. Ces images à l’apparence anodine recèlent les clés des énigmes et poussent le lecteur à un jeu de détective avec l’auteur, Uketsu. Youtubeur à l’identité secrète, toujours grimé d’un masque blanc, la voix trafiquée, Uketsu est aussi mystérieux que ses œuvres. Un phénomène de société.

Catégorie : inclassable

Un OLNI, pourrait-on dire : un « Objet Littéraire Non Identifié ». Voilà une étiquette qui s’applique bien à Strange Pictures, le premier roman d’Uketsu à atterrir sur le sol français. Stange Pictures est en tout déroutant dans notre univers éditorial plutôt monogame où un roman est un roman, un livre illustré est un album et où les publics cibles ne se mélangent pas (les grands avec les grands, les petits avec les petits). Uketsu, issu non seulement d’un autre pays, mais aussi d’autres médias, s’en fiche grandement de nos us et coutumes. Et c’est tant mieux.

Strange Pictures part d’une idée simple – mais loin d’être bête. Il nous présente des crimes et des mystères dont la solution pourrait reposer dans des dessins laissés, tour à tour, par les victimes ou les bourreaux. Le roman s’ouvre sur l’analyse d’un dessin enfantin à l’apparence tout à fait innocente : une fillette souriante. À gauche, une maison. À droite, un arbre abritant un petit oiseau. Sauf que, voilà, la très jeune autrice de ce dessin, du haut de ses 11 ans, a tué sa mère. Au fil de quatre grands chapitres, le roman offre quatre histoires à l’apparence déliées qui, au fur et à mesure de la lecture, s’emboîtent l’une dans l’autre comme un Rubik’s Cube.

Quatre mystères, un destin

Il y a l’histoire de Sasaki et Kurihara, deux copains de fac passionnés de true crime qui se penchent sur un mystérieux blog. Un certain Nanashino Ren y confie ses joies et ses tracas quotidiens, parmi lesquels la grossesse de sa compagne et les dessins qu’elle réalise. Suite au décès brutal de celle-ci, Ren décide d’interrompre la rédaction de son blog : pourquoi ? Qu’a-t-il compris ?

Cut. On suit maintenant Yûta, un enfant dont le dessin préoccupe sa maîtresse. En effet, il dessine son immeuble, mais, à l’endroit où se trouve son appartement, le dessin est étrangement raturé. Que veut-il dire par là ? Sa mère est inquiète : à ce dessin, s’ajoute l’étrange sensation d’être suivie depuis quelque temps…

Cut. Un professeur d’art plastique a été tué de façon barbare le long d’un sentier de montagne. Sur lui, on trouve un étrange dessin du panorama lui faisant face. Le crime n’ayant jamais été résolu, un journaliste et l’un de ses anciens élèves cherchent à percer le mystère de cette image… et du crime que – ils en sont persuadés – cette image annonce.

À roman-mystère, auteur-mystère

Si le roman recèle des mystères, son auteur n’en fait pas moins. Youtubeur à 1,7 millions d’abonnés, Uketsu (雨穴, pluie + trou) a commencé d’abord en publiant anonymement des articles sur le site humoristique Omokoro. Puis sont arrivées ses étranges vidéos sur YouTube, à mi-chemin entre le surréalisme et l’horreur. Toujours caché derrière un masque en papier mâché, le corps vêtu d’un kuroko issu du kabuki, la voix trafiquée afin qu’on n’en détecte pas le genre, Uketsu est un énigme.

Peu d’informations existent le concernant (car, après des années à esquiver le genre, tout semblerait indiquer qu’il s’agit d’un homme). Il serait originaire de la préfecture de Kanagawa et aurait passé une partie de son enfance en Angleterre. Diplômé en économie, au moment où il lançait sa chaîne, il travaillait dans un konbini. S’il ne souhaite pas donner son âge, on imagine facilement qu’il fait partie de la génération des millennials. Selon ses propres aveux, sa véritable identité ne serait connue que d’une trentaine de personnes.

Mélanges et médiamix

La force et l’unicité de Strange Pictures – et de Strange Houses, le premier roman d’Uketsu – réside dans sa promiscuité insaisissable. Le roman est à la fois une narration classique et un jeu de piste offert au lecteur, invité à résoudre les énigmes avec, voire avant, les personnages. L’illustration y joue un rôle capital, et pourtant il ne s’agit pas d’un roman illustré, mais plutôt un roman d’illustrations. La complexité étonnante de son intrigue va étrangement de pair avec une langue simple qui a su conquérir un public étonnamment vaste. La rapidité avec laquelle on lit le livre s’oppose aux heures de réflexion nécessaires à l’analyse de ses images. Les rebonds constants entre l’auteur et son œuvre, entre Internet et édition, entre vidéo et livre, créent des ricochets étourdissants. Ce n’est pas un hasard si les romans d’Uketsu, issus de ses vidéos YouTube, ont été adaptés en manga d’abord, puis en film ensuite.

Un phénomène social (et paranormal)

Si la véritable identité d’Uketsu est un mystère, on peut tout de même établir une topographie de son succès. 1,7 millions d’abonnés sur sa chaîne YouTube. Une vidéo, celle qui lançait les prémices de Strange Houses, visionnée 24 millions de fois. 3 romans, tous les 3 bestsellers et dépassant même les ventes de Murakami et de son La Cité aux murs incertains. Strange Pictures désormais traduit et publié dans plus de 30 pays. Un public allant des élèves d’école primaire aux retraités. Plus de 2 millions de lecteurs pour Strange Pictures au Japon, un chiffre absolument record.

Quel est le secret d’un tel succès ? Le secret, de toute évidence…

(edg)