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Un film de Chie Hayakawa

France | 1h59 min | Sortie le 10 septembre 2025

Note : 4,4/5

Tokyo, 1987. Fuki, 11 ans, vit entre un père hospitalisé et une mère débordée et absente. Un été suspendu commence pour Fuki, entre solitude, rituels étranges et élans d’enfance. Le portrait d’une fillette à la sensibilité hors du commun, qui cherche à entrer en contact avec les vivants, les morts, et peut-être avec elle-même.

Chie Hayakawa suit une enfant pétillante au milieu du monde des adultes, particulièrement menaçant et délabré : parents en ruine, société en manque de repères… Une mise en scène poétique et d’une grande maîtrise où la noirceur environnante n’arrive jamais à vraiment prendre le dessus.

Il y a des films qui s’ouvrent comme une porte entrouverte sur une chambre d’enfant, avec ses couleurs, ses fragiles trésors, et derrière lesquels se cache un monde qui s’effrite. Renoir appartient à cette catégorie. Après la rigueur glaçante de Plan 75, Chie Hayakawa surprend en signant un récit d’apprentissage, mais sans l’innocence que l’on croit. Le Japon de 1987 semble couvert d’une lumière d’été, douce, presque picturale, mais ce voile dissimule un climat plus sombre : le vacillement d’un ordre familial, les craquements d’une société en mutation, et cette violence sourde qui filtre à travers les écrans de télévision comme des éclats de plomb. Au centre, Fuki, onze ans, une enfant au seuil d’un âge trouble. Son regard devient la lentille à travers laquelle tout se déforme. Il y a la maladie du père, la fatigue de la mère, la solitude qui s’invite dans les interstices. Et puis, il y a cette autre réalité, plus effrayante encore, qui gronde en arrière-plan : un Japon hanté par la mort, la pulsion, la peur. Hayakawa filme cette tension comme un battement : chaque plan domestique, si calme en apparence, semble menacé par un gouffre invisible.

Pour survivre, Fuki se fabrique des refuges. La bulle imaginaire qu’elle construit – entre fascination pour l’hypnose, curiosité maladroite pour le sexe, jeux intérieurs – n’est pas qu’une échappée : c’est un acte de résistance. Car le monde des adultes, autour d’elle, s’enfonce dans une noirceur sans fond. Les journaux télévisés exhibent des cadavres et des faits divers sordides ; à la maison, la mort s’invite, tapie dans l’ombre des couloirs. Fuki, elle, tente de maintenir la lumière, comme on souffle doucement sur une flamme vacillante. Ce contraste, Hayakawa le saisit avec délicatesse : la moiteur d’un été, la vibration des insectes deviennent les remparts d’une innocence menacée.

Mais si Renoir charme par cette capacité à épouser la perception flottante d’une enfant, il ne réussit pas toujours à aller au bout. L’intime, par moments, se dilue dans une narration éclatée où les pistes s’ouvrent sans jamais se rejoindre. Cette dispersion donne au film une beauté fragile, mais aussi chez le spectateur une légère frustration : on aurait voulu que cette mosaïque s’assemble, qu’un fil se tende davantage. Et pourtant, malgré ces petites failles, Renoir laisse une empreinte. Parce qu’il y a dans ce film une justesse sensorielle : le temps qui s’étire comme une après-midi d’été, le grondement d’une société qu’on devine sans la nommer, et surtout, cette manière de capter la résistance intime d’une enfant qui refuse la noirceur en inventant sa propre clarté. À défaut d’un récit charpenté, Chie Hayakawa offre un espace flottant, entre douceur et menace, qui dit beaucoup sur l’imagination comme ultime refuge. En compétition au dernier Festival de Cannes, Renoir n’est pas le film qu’on imaginait, mais il est habité par une vérité sensible et nous rappelle que grandir, c’est parfois tenir bon contre le poids du monde, en protégeant coûte que coûte son îlot intérieur.

BG