
Hozumi, L’auberge des saisons perdues – Tome 1, naBan
Traduit par Anaïs Fourny
192 pages
13 x 18 cm
8€
Reculée et pourtant hypnotique, L’auberge des saisons perdues attire à son portail celles et ceux qui ont perdu quelque chose. Hommes, femmes, jeunes, vieux, les âmes en peine qui habitent les pages poétiques du manga signé Hozumi cherchent dans ce ryokan une façon de faire repartir le temps, leur temps, celui qui s’est arrêté quand ils ont laissé filer l’essentiel. Un josei manga à faire frémir, bondir, réfléchir.
Le ryokan des objets trouvés

Nichée dans les montagnes, il faut en faire de la route pour atteindre « L’auberge des saisons perdues ». Guidés par Matsûra, un guide étrangement jovial vue l’âpreté de sa tâche, les invités arrivent devant le gigantesque torii qui marque le seul du ryokan. L’égarement est leur principal bagage. Car, en plus d’être bien cachée par la nature environnante, cette auberge a une réputation particulière : on y retrouve ce que l’on a perdu. Passé le portail, les voyageurs sont « accueillis » par une patronne en kimono traditionnel qui, il faut bien le dire, n’aide pas à dissiper l’égarement de ses invités. D’une part, elle est absolument intraitable, ce qui contrevient à l’omotenashi, l’art de l’accueil à la japonaise. D’autre part, il s’agit d’une enfant. Et depuis quand les enfants gèrent des ryokan ?
Hommes, femmes, jeunes, vieux, il y a toute sorte d’hôte à l’Auberge des saisons perdues. Après tout, il n’y a pas d’âge et de genre pour égarer quelque chose : des objets, des souvenirs, des secrets. Pendant la floraison des cerisiers, il y a un mari troublé par la ressemblance entre la cuisine du ryokan et celle de son épouse. À l’automne, c’est un enfant mélancolique qui cherche son chat. Au creux de l’hiver, un alpiniste amnésique. Sous les pluies estivales, une professeure aux lèvres rouges de regrets. Ou encore une mère cruelle qui a enseveli son amour comme la neige a enseveli l’auberge.
Et si josei moi aussi ?

Les chapitres de L’auberge des saisons perdues – un par invité et par « quête de l’objet perdu » – sont imprégnés de magie. Dur de démêler le vrai de la rêverie, la vue de la vision, dans ce manga psychologique sensible. Après son premier opus, Les Deux Van Gogh (Glénat), Hozumi revient avec une toute petite série de 3 volumes, sortie au Japon en 2014 sur le mensuel Flowers et fraîchement publiée chez naBan.
Destinés au public féminin adulte, les josei manga comme L’auberge des saisons perdues mettent en avant le drame psychologique. En quelques pages, les tourments de chaque personnage se déploient avec sincérité, malgré l’onirisme de l’ensemble. La composition, très verticale, participe au vertige qu’est celui des hôtes du ryokan.
L’auberge japonaise, un espace qui se joue du temps
Le ryokan, l’auberge traditionnelle nippone, est l’espace idéal pour organiser une partie de cache-cache avec le temps. Son cadre et son fonctionnement, si respectueux des codes, l’épargnent de la modernité et de sa temporalité frénétique. Ici, les 72 micro-saisons qui composent une année coulent à leur rythme, on pourrait être en 2025 ou en 1872.
À l’image de L’auberge des saisons perdues, le film En boucle de Junta Yamaguchi profite d’un ryokan pour manipuler le temps. Enfermés dans une boucle temporelle de 2 minutes qui se répète inlassablement, les clients et le staff du ryokan doivent s’adonner à un exercice fort exotique afin d’en sortir : une course contre le temps.
Dans L’auberge des saisons perdues, on ne saurait dire si le temps est devant ou derrière. S’il a passé le torii ou s’il est resté dehors. S’il appartient aux voyageurs ou aux employés. Après tout, même le lecteur a perdu quelque chose (et c’est très bien) : sa montre…
(edg)