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Un film de Kiyoshi Kurosawa

Japon, France | 1h52 min | Sortie le 13 août 2025

Note : 4,7/524 avis

Albert Bacheret est un père dévasté par la disparition inexplicable de sa fille de huit ans. Alors que la police semble incapable de résoudre l’affaire, il décide de mener sa propre enquête et reçoit l’aide inattendue de Sayoko, une énigmatique psychiatre japonaise. Ensemble, ils kidnappent des responsables du « Cercle », une société secrète. Mais chaque nouvel indice mène à un nouveau suspect qui présente toujours une version différente des faits… Obsédé par la vérité, Albert va devoir naviguer entre sa soif aveugle de vengeance et une infinie spirale de mensonges.

            Au cours de son entretien avec Alfred Hitchcock, François Truffaut lui fit remarquer que son remake en 1956 de L’Homme qui en savait trop était bien supérieur à sa version originale de 1934. « La première version est l’œuvre d’un amateur talentueux », répondit avec amusement Hitchcock, « la seconde a été réalisée par un professionnel ». Nous pourrions dire de même de La Voie du serpent de Kiyoshi Kurosawa, fascinant remake de son thriller Serpent’s path (1998) que le maître de la peur japonais rêvait depuis des années de retourner, afin d’approfondir le jeu de piste retors et machiavélique de l’intrigue. Résultat : un grand Kurosawa, obsédant et tortueux, que l’on pourrait presque qualifier de thérapie en soi. Car en prenant une psychiatre japonaise, Sayoko, comme pivot de l’enquête policière, c’est essentiellement les masques de l’inconscient des personnages (et de la société) qui tombent peu à peu. Kiyoshi Kurosawa signe ici l’une de ses œuvres les plus complexes, si étrange et unique qu’elle semble hors du monde, au même titre que les espaces dans lesquels évoluent ses personnages, emblèmes de leur psyché brisée : un hangar désaffecté à la Reservoir Dogs, un Paris désincarné, une cabane dans la forêt et un inquiétant terrain de jeu.

Albert Bacheret est un père endeuillé, déterminé à retrouver et punir les responsables du meurtre sadique de sa fille de huit ans. Épaulé par Sayoko, une psychiatre l’ayant approché sans qu’on en comprenne réellement les motivations, Albert va procéder à une série d’enlèvements des membres de l’organisation secrète Le Cercle. Celle-ci s’appuierait sur une fondation venant officiellement en aide aux orphelins pour orchestrer officieusement un trafic d’organes et d’enfants. Albert et Sayoko vont dans un premier temps kidnapper Laval, gestionnaire financier de la société. À l’issue d’interrogatoires impitoyables, l’homme va les mettre sur la piste d’un haut responsable de l’organisation, qui sera à son tour emprisonné et torturé à ses côtés. Lequel va les mettre sur la piste d’un troisième homme… et ainsi de suite. À mesure que l’enquête gagne en intensité, le sang coule et de nouvelles personnes finissent impliquées – coupables, innocentes ? Il est d’autant plus difficile d’y voir clair qu’Albert semble au bord du gouffre, du chagrin, de la folie. C’est à se demander pourquoi Sayoko, si méthodique et professionnelle, l’assiste aveuglément… Glaçante, ostentatoirement manipulatrice, d’un sang-froid sans commune mesure, elle surplombe ses proies d’un regard hypnotique, venimeux, comme le serpent avant d’attaquer. Albert semble être le pantin d’une séance de thérapie violente qu’elle superviserait, sous forme de jeu de rôle, comme s’il s’agissait d’un patient lambda dont il faudrait disséquer l’intériorité. On ne sait plus qui est qui, les frontières sont de plus en plus floues. La course-poursuite finale ira jusqu’à renverser les enjeux initiaux.

La Voie du serpent est au fond l’histoire d’un paranoïaque qui lutte pour trouver les motivations des ravages qu’il sème. En trame de fond, c’est bien sûr l’aliénation moderne que Kurosowa évoque, par le biais de found footage renvoyant une image terrifiante de l’humanité, interrogeant sa perversité voyeuriste. Hormis quelques scènes de fusillades, la violence du film est essentiellement suggérée, hors-champ. Kurosawa reprend les codes classiques du revenge movie (kidnapping, interrogatoires, tension crescendo) pour explorer le coût psychologique de la vengeance autant que du traumatisme. En situant l’action du film en France, à Paris, le cinéaste exploite brillamment le décalage culturel comme symbole de l’exil intérieur, d’une identité perdue. Servi par une distribution impeccable (Damien Bonnard, Mathieu Amalric, Grégoire Colin, Vimala Pons, Slimane Dazi pour la partie française ; Kô Shibasaki et Hidetoshi Nishijima, célèbre acteur de Drive My Car de Ryusuke Hamaguchi pour la partie japonaise), La Voie du serpent est une vaste méditation sur l’identité humaine et la dégradation morale à l’ère de la globalisation. O. J.

O.J.