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OKAKURA Kakuzō, Le Livre du Thé, Éditions Picquier.

Traduction de ATLAN Corinne et BIANU Zéno

 

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Un breuvage et la cérémonie de partage qui l’accompagne peuvent-ils, à eux seuls, contenir toute l’essence d’un peuple, sa vision, sa philosophie, son art de vivre ? Par Le Livre du thé, cet essai capital écrit en 1906 dans un anglais aussi impeccable que poétique, Okakura Kakuzō ouvrait à l’Occident les portes de la Chambre de Thé et lui révélait toute la complexe simplicité et la profondeur symbolique déployées dans le cha-no-yu et, par extension, dans la culture nippone. Un essai qui dépasse les bornes du thé et les frontières du Japon pour embrasser l’universel.

 

La biographie d’Okakura Kakuzō (1862-1913), c’est une vie parfaitement sertie dans l’assise de l’ère Meiji, qui débute en 1868 et se clôt en 1912. Et comme un solitaire, elle magnifie et résume parfaitement cette période unique et délicate d’ouverture du Japon à l’étranger. Étudiant l’anglais depuis son plus jeune âge, il travaille entre le Japon et les États-Unis auprès du Ministère de l’Éducation et des académies de beaux-arts et œuvre pour bâtir des ponts de connaissance mutuelle à une époque où l’Occident et le Japon se rencontrent et se dévisagent pour la première fois.

« L’humanité, chose curieuse, s’est toujours retrouvée autour d’une tasse de thé. Voilà bien le seul rituel asiatique qui emporte l’adhésion universelle. L’homme blanc, s’il a raillé notre religion et notre morale, a accepté le breuvage doré sans la moindre hésitation. Le thé de l’après-midi constitue désormais une fonction importante au sein des sociétés occidentales. Tintement délicat des plateaux, doux bruissement de l’hospitalité féminine, catéchisme de la crème et du sucre — à l’évidence, la religion du thé ne souffre plus nulle contestation. »

Le thé, substance de tous les accords, cœur de tous les partages, est le prétexte central qui permet à Okakura Kakuzō de présenter son pays à l’Occident et de remémorer à ses compatriotes, à une époque d’absorption gourmande et aveugle des cultures européenne et américaine, leur racines profondes, précieuses et panasiatiques. La connaissance fine et respectueuse de la culture occidentale, tout comme le choix délibéré de l’anglais pour écrire Le Livre du Thé, font d’Okakura Kakuzō le maître idéal pour dévoiler, sans l’agressivité d’un colon ou le regard mielleux d’un orientaliste, tous les enjeux de la cérémonie du thé. Intelligent et malicieux, nippon dans sa charpente spirituelle mais américain dans son aisance joviale, l’érudit secoue avec douceur et initie avec ferveur.

Le thé est la graine initiale d’où se développe une arborescence touffue de rituels, concepts, visions spirituelles et rapports avec la nature et les hommes.  L’histoire du thé et de ses trois écoles (le thé bouilli, fouetté ou encore infusé) se développe en écho avec l’histoire du Japon. Son syncrétisme religieux, pétri de bouddhisme, shintoïsme et taoïsme, s’entrevoit dans les reflets dorés du breuvage. L’art floral du chabana, intimement lié au cha-no-yu (la cérémonie du thé), nous apprend un tout autre rapport à la nature, plus philosophique et moins prédateur, dans la synthèse et non pas dans le foisonnement. Ce que les maîtres du thé mettent en place à travers la chorégraphie gestuelle de leur cérémonial, ce n’est pas tant une façon de boire, ou de recevoir, mais de concevoir et de vivre.

Le thé n’est qu’un prétexte, ou mieux, un départ : le route de ce grand classique est loin de s’être épuisée au XXe siècle et continue de parler aux hommes de cette tentative constante, toujours émouvante et toujours imparfaite, qu’est la vie. Et de notre besoin d’en faire un art.

(edg)

 

Yôshû Chikanobu, Tea Ceremony with Flower Arranging in Turn (Chanoyu mawaribana), 1895, Museum of Fine Arts (Boston)