
Un film de KÔJI FUKADA
Japon | 2h03 | Le 18 février 2026 au cinéma

Après Love Life, Kōji Fukada dévoile, avec une précision implacable, les rouages d’un système destructeur et les tourments d’un amour impossible. Vertigineux.
Jeune idole de la pop en pleine ascension, Mai commet l’irréparable : tomber amoureuse, malgré l’interdiction formelle inscrite dans son contrat. Lorsque sa relation éclate au grand jour, Mai est traînée par sa propre agence devant la justice. Confrontés à une machine implacable, les deux amants décident de se battre, non seulement pour leur avenir, mais pour défendre le droit le plus simple et le plus universel : celui d’aimer
Le 31 janvier 2013, la diffusion de la vidéo de Minami Minegishi, alors âgée de 20 ans et membre du groupe de AKB48, fait scandale. Elle y apparaît le crâne rasé, en pleurs, demandant pardon à ses fans et à son agence après qu’un journal à scandale eut révélé qu’elle avait passé la nuit chez un homme – une violation implicite des « règles de pureté » imposées aux idoles. Un tel acte de contrition – se raser la tête, geste traditionnel de pénitence au Pays du soleil levant – choque par ce qu’il met en lumière : la pression psychologique et sociale écrasante imposée à ces jeunes femmes. Même s’il reste du chemin à faire, le Tribunal finira par reconnaître, le 18 janvier 2016, que certaines clauses imposées aux idoles par leurs agences étaient liberticides. À travers la chute de son héroïne, Kôji Fukada nous confronte directement aux ressorts de cette prise de conscience judiciaire autant qu’à une histoire d’amour impossible, broyée par un système patriarcal, capitaliste et cruel.

Tout commence par une porte dans l’obscurité qui s’ouvre : la lumière du jour préfigure déjà l’exposition sans répit de ses protagonistes. Le van du quintet d’idoles (fictif) Happy Fanfare stationne. S’en suivent les préparatifs de ses membres (maquillage, habillage, répétitions) jusqu’à leur représentation, face à un public essentiellement masculin. Leur producteur scrute attentivement chaque détail, s’assurant que la fiction marchande de « ses » idoles reste parfaitement sous contrôle. Peut-il seulement en être le cas ? Un scandale ne tarde pas à chambouler l’ordre établi : les fans de Nanaka, figure montante du groupe, se retournent contre elle lorsqu’est dévoilée sa liaison avec un jeune influenceur. La passion se mue soudain en rejet, un fan allant jusqu’à l’agresser physiquement. Mise à l’écart, c’est alors Mai qui est propulsée à sa place. Une aubaine ? Pas vraiment, car Mai est désenchantée. Elle qui rêvait enfant de pouvoir vivre de sa passion – le chant et la danse – peine à y trouver encore un sens dans le cycle infernal de l’exploitation du star-système. Un engrenage où l’image dévore l’humain : être sur scène, mais toujours derrière un écran — fétichisée, déshumanisée, dissoute dans le spectacle. C’est alors que Mai rencontre Kei. Mime et magicien de rue, il vit de presque rien, mais sans masque. Son art fragile, poétique, lui offre la liberté que Mai a perdue. La révolte de Mai gronde au fur et à mesure que son amour pour Kei grandit. Huit mois plus tard, nous retrouvons les deux amants traqués en justice par le manager de Mai, pour avoir violé la clause de célibat de son contrat. Dans leur quête éperdue de justice, résolument romanesque, c’est tout un système pernicieux que Mai et Kei défie. Un système qui cherche à anéantir un sentiment pourtant inaliénable : l’amour.

Présenté au dernier Festival de Cannes, Love on Trial signe le grand retour de Kôji Fukada, qui nous avait dernièrement transcendé avec Love Life (2023). Précis formellement, tout en finesse, Love on Trial marque une rupture majeure dans le cinéma de Fukada : pour la première fois, son cinéma se fait ouvertement politique et féministe. Il n’est pas anodin qu’il ait choisi Hidetoshi Shinomiya comme directeur de la photographie, collaborateur de Ryusuke Hamaguchi sur Drive My Car (2021), pour frôler au plus près l’intime de Mai, captant la fracture entre son image et son être. Fukada explore cette distance à travers un usage maîtrisé du champ-contrechamp et de plans étouffants, où Mai semble littéralement prisonnière du cadre : enfermée dans des espaces aseptisés, sans issue, à l’instar de la salle d’audience. Sans sensationnalisme, Love on Trial se départit de tout artifice pour sonder le vernis glamour autour de la célébrité. « La culture des idoles est fascinante et singulière, confie Fukada, mais si j’avais cherché à en saisir les moindres détails, le film aurait pu virer à l’exotisme. J’ai préféré m’attacher à l’essentiel : les conflits humains, l’amour et la solitude. Car au fond Love On Trial est une histoire d’amour impossible universelle, à la Roméo et Juliette. »
O. J.
