
Les actrices de LOVE ON TRIAL de Kōji Fukada
Bien avant l’explosion planétaire de la K-Pop, c’est au Japon qu’est né le modèle. Dans les années 1980, l’archipel invente une figure inédite : l’idole, cette jeune fille (ou garçon) qui ne chante pas seulement, mais incarne un idéal affectif. À une époque où la société japonaise valorise la retenue et la maîtrise de soi, ces idoles deviennent des miroirs de pureté : toujours polies, légèrement maladroites, accessibles. On pouvait les croiser, leur écrire, les voir grandir. Elles n’étaient pas des déesses pop, mais des voisines exemplaires, dont la fraîcheur et la modestie répondaient à un besoin collectif d’innocence. Leur existence dessinait un modèle social : aimer sans désirer, admirer sans transgresser. Ce sont elles que l’on retrouve en 2026 au cinéma dans LOVE ON TRIAL de Kōji Fukada, sélectionné à Cannes.

Dans les années 1990, le système se structure. Des groupes comme SMAP (pour les garçons) ou Morning Musume (pour les filles) imposent une pop de la familiarité : on les suit à la télévision, on rit avec eux, on vieillit avec eux. Le concept de “graduation” apparaît : quand une idole quitte le groupe, c’est une cérémonie — elle “part en restant pure”. Ce rituel devient la clé du système AKB48 : des dizaines de jeunes filles, des élections publiques, un vote payant, une salle dédiée à Tokyo. L’idole n’est plus seulement un artiste : elle est un lien marchand et émotionnel, une relation à entretenir, à posséder un peu. En 2013, le scandale Minami Minegishi — tête rasée pour avoir passé la nuit avec son petit ami — révèle le vrai prix de cette pureté : celle du contrôle absolu de soi, exigé non plus par les producteurs, mais par les fans eux-mêmes.

Pendant ce temps, la Corée du Sud observe et apprend. Au tournant des années 2000, la K-Pop reprend le modèle japonais et le pousse à la perfection : formation militaire, uniformité visuelle, entraînement dès l’adolescence. Là où la J-Pop valorisait la spontanéité et le charme de l’imperfection, la K-Pop érige la perfection en forme de sincérité. Chanter juste, danser ensemble, sourire sans faille : tout devient performance émotionnelle. Mais le principe fondateur reste le même : fabriquer un lien affectif total entre artiste et public. Les ARMY de BTS, les Blinks de BLACKPINK ou les Once de Twice incarnent désormais des communautés mondiales, structurées comme des armées émotionnelles, capables d’organiser des campagnes politiques, des dons caritatifs, ou de harceler ceux qui “blessent” leurs idoles.
La “clause anti-romance” n’est plus écrite dans les contrats : elle vit désormais dans les réseaux. Le contrôle est devenu collectif.

Cette économie de la passion a tout absorbé : la musique, la mode, les réseaux, jusqu’à la spiritualité. Sur YouTube ou TikTok, les idoles ne vendent plus des chansons, mais des fragments d’intimité : un sourire, un regard, une phrase murmurée à la caméra. L’amour y devient un produit à haute définition. Et pourtant, sous cette machinerie hypermoderne, le modèle japonais originel persiste : celui de la tendresse disciplinée, du sourire reconnaissant, du “merci” permanent. Mais à mesure que la K-Pop s’universalise, ses failles se creusent. Certaines idoles — IU, Jennie (BLACKPINK), HyunA — revendiquent leur droit d’aimer. D’autres — Taemin, Jihyo — choisissent le silence, conscients que la moindre émotion “vraie” peut briser l’équilibre fragile entre sincérité et contrat. Les fans oscillent alors entre empathie et trahison : ils veulent l’authenticité, mais punissent la vérité.

C’est cette contradiction intime que met en scène Kōji Fukada dans LOVE ON TRIAL. Son héroïne, idole accusée d’avoir aimé, se retrouve jugée non pour son crime, mais pour son humanité. En observant l’amour devenir une clause de contrat, Fukada prolonge toute une histoire — celle d’un modèle né au Japon, perfectionné en Corée, exporté dans le monde entier — et la pousse à son point de rupture : celui où le lien émotionnel devient une prison, et où la sincérité redevient un acte de résistance.





