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Un film de Mamoru Oshii

Japon | 1h11 | Ressortie le 3 décembre 2025 au cinéma

Note : 4,8/554 avis

Il existe des films qu’on ne “comprend” pas : on les traverse comme un songe, ou plutôt, ils nous traversent. L’Œuf de l’ange (Tenshi no Tamago, 1985) appartient à cette catégorie rare. Œuvre silencieuse, presque sacrée, née de la rencontre entre Mamoru Oshii — futur auteur de Ghost in the Shell — et Yoshitaka Amano, illustrateur au trait vaporeux, le film s’avance comme une prière sans mots, un geste d’abandon face au mystère.


Dans un monde englouti, qui semble dépourvu de lumière et de vie, une fillette protège un œuf mystérieux. Elle fait la rencontre d’un jeune homme, porteur d’un fusil et de questions, qui devient alors son compagnon de route pour un temps. Autour d’eux, des silhouettes de pierre, des poissons fantômes, des escaliers qui ne mènent nulle part. Rien n’y est jamais explicité. Tout inspire la fin d’un monde et la persistance de la foi, dans un contexte post-Hiroshima, Oshii lui-même dira avoir voulu filmer le vide après avoir perdu sa propre foi. 

Chaque plan semble suspendu aussi bien dans le temps et l’espace qu’entre ciel et mer. Le dessin d’Amano, tout en courbes et transparences, fait naître une beauté presque biblique qui s’allie à merveille avec la musique de Yoshihiro Kanno, rare et vibrante: un chant d’église filtré par le rêve. Ce film est tout en lenteur, dans la suggestion et la contemplation. Là où personne n’a osé s’aventurer avant Mamoru Oshii. L’Œuf de l’ange ne raconte pas : il invite à regarder attentivement, à apprécier la lenteur et la beauté mais aussi à se questionner.

C’est une œuvre sans compromis, parfois déroutante, mais d’une cohérence absolue. On y perçoit déjà les prémisses des obsessions d’Oshii qu’il mit en scène dans ses films suivants: la solitude, la mémoire, le dualité entre lumière et ombre et la quête de sens dans un monde post-spirituel. Ce film est également la promesse d’une animation japonaise capable de philosopher sans dialogue, d’émouvoir sans intrigue, de toucher à l’universel par cette lenteur.

Regarder L’Œuf de l’ange, c’est accepter de ne pas tout saisir, se laisser émerveiller, avec un regard pur, avant les mots. Un film onirique à ressentir plus qu’à analyser et à laisser infuser sans jamais pouvoir le décoder entièrement, mais qui laisse place à l’interprétation et aux métaphores. Dans la lumière troublée des vitraux et la douceur irréelle des ombres, un rêve en suspens où l’enfant et son œuf deviennent le symbole d’un espoir fragile — celui qui persiste, même quand tout semble perdu.