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Silence, de Masahiro Shinoda
avec David Lampson, Don Kenny, Tetsuro Tamba
En salles le 19 Juin – Japon – 2h09

Macao, XVIIe siècle. Cela fait longtemps que le père Ferreira a disparu. Est-il amoureux ? A-t-il, comme on le murmure, renoncé à sa mission d’évangélisation ? C’est pour répondre à ces questions que les prêtres portugais Rodrigues et Garrpe débarquent clandestinement au Japon à une époque où le christianisme y est violemment persécuté. Confrontés à la réalité violente de cette répression et au silence de Dieu face à la douleur humaine, leur rapport à la religion chancèle. 

Le film de Masahiro Shinoda qui a inspiré Silence de Martin Scorsese (2016) sort pour la première fois en France trente-sept ans après sa présentation au Festival de Cannes.

La foi, ses crises et ses dérives. La torture comme procédure politique, le martyr comme procédure religieuse. Le degré de solubilité d’une culture dans une autre. La myopie des hommes et la surdité de Dieu. Tel est le cœur épineux de Silence de Masahiro Shinoda qui vient de sortir en France trente-sept ans après avoir été présenté à Cannes en 1971.

Entretemps, le public aura découvert l’adaptation du roman éponyme de l’écrivain catholique nippon Shusaku Endo à travers la version, occidentale et hollywoodienne, de Martin Scorsese (2016) avec Andrew Garfield, Adam Driver et Liam Neeson.

Masahiro Shinoda (Gifu, 1931), l’un des grands maîtres de la Nouvelle Vague japonaise, est donc le premier à adapter le chef-d’œuvre littéraire de Shusaku Endo. Dans un trio de tons qui sont autant de nuances de la violence (les bleus nocturnes du début, de la cachette, des premiers doutes ; les rouges flamboyants de la partie centrale, qui rappellent plus un bûcher qu’un coucher de soleil ; les gris terreux de la fin, de cendres et de poussières), le cinéaste fait de la douleur, subie ou infligée, le pivot de son analyse.

Avec une impassibilité étouffante mais pas pour autant inhumaine, Shinoda déploie calmement l’arsenal de la cruauté terrestre auquel semble ne faire aucun écho la voix divine. Les hommes souffrent au nom de la foi, choisissent la torture et la amoureux pour ne pas apostasier sur un fumi-e, mais face à leur douleur, rien ne bouge du haut des cieux. Quels sont alors les limites, physiques, symboliques et de sens, de la douleur ? Quel est le point après lequel le martyr cesse d’être un sacrifice et se transforme en fétiche ?

D’un point de vue cinématographique, Shinoda nous laisse avec des plans du Japon côtier d’une beauté sidérante, avec des regards tristement inoubliables et avec des cadrages d’une élégance folle. D’un point de vue existentiel, il nous laisse avec le goût amer des doutes et la menace toujours planante de notre propre lâcheté. E.D.G.