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Traduit par Georges Palet

Indifférent au genre et aux courbes du corps mais capable de vous indiquer le statut, le lignage et la place sur le « marché conjugal » de celle ou celui qui le porte, le kimono est l’antithèse de l’habillement occidental. Son iconique forme en « T » rend la toile parfaite pour un tableau mouvant où, au fil des siècles, se sont exprimés les goûts et les tendances, les élans patriotiques et les messages discrets. Bien plus complexe et évolutif que ce que l’œil européen a voulu voir par le passé, il entretient avec la mode occidentale un rapport dynamique d’échanges et d’inspiration. Kimono d’Anna Jackson (Éditions de La Martinière) libère l’habit du poids des clichés et des raccourcis exotisants et nous livre son histoire trépidante et en perpétuel mouvement.

 

Brocards façonnés à la mode du palais impérial © Victoria and Albert Museum, Londres

 

D’habit traditionnel en uniforme, d’uniforme en costume, de costume en déguisement : le chemin vers le raccourci est bref – et il est coupable. En ce qui concerne le kimono, le regard occidental a su être à la fois myope et strabique, mais il a aussi regardé diligemment là où pointait le doigt. L’histoire séculaire du kimono est, en effet, une histoire de « soft power » aux épaisseurs cachées et aux mille et une réciprocités.

Dans un ouvrage richissime avec plus de 250 images, Anna Jackson – directrice du département Asie au Victoria & Albert Museum et spécialiste du vêtement japonais – et une dizaine d’auteurs de référence retracent avec la juste distance l’histoire et les dessous du kimono et de ce que cet habit revêt en termes de langage sociopolitique. Sa « nature » (qui n’en est pas une) à l’opposé des vêtements occidentaux – saillants, distinguant (ou créant) le masculin et le féminin, multipliant formes et formules – a poussé les Européens à le voir comme un vêtement figé, immuable, exotique mais sans Histoire.
Or, depuis le début, le kimono relève du marqueur social, évolue au fil des siècles, emprunte autant qu’il prête des modes occidentales dans une danse de clins d’œil réciproques.

 

Kimono pour un très jeune garçon (c) Victoria and Albert Museum, Londres

 

Depuis ses origines au XIIIe siècle jusqu’à ses multiples déclinaisons dans la mode actuelle et sur les écrans de cinéma (des collections de Galliano aux pochettes de Björk, des costumes de Star Wars aux tenues de scène de Freddy Mercury), Kimono brasse les potentialités de ce qui, étimologiquement, ne signifie rien de plus que « ce que l’on porte sur soi ». Symbole réducteur des geishas et, plus généralement, d’une féminité japonaise tantôt infantilisée tantôt prétendument lascive, il a été – et ce malgré et en raison de la contrainte physique et rituelle qu’engendre le fait de l’endosser – un instrument réel d’affirmation des féminités (et des féminismes) les plus variés.

 

Mantle, conçu par Paul Poiret, vers 1913, Paris. © Victoria and Albert Museum, Londres

 

Il a été également un canal de communication symbolique et de reconquête politique quand, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, le Japon a dû retrouver une place égalitaire à la table des puissances mondiales. Son emploi et sa mise en scène ont servi à ouvrir de nouvelles brèches dans l’opinion publique internationale.

Kimono est une passionnante histoire du Japon par son vêtement-monument qui ravira autant les amoureux de la mode que les passionnés de sciences politiques.

(edg)