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Les alentours de la rue Sainte-Anne, dans le 2ème arrondissement, sont ce qui rapproche le plus les Parisiens du Soleil Levant. Restaurants, salons de thé et boutiques japonaises offrent une escale aux rêveurs d’ailleurs. C’est ici, au 11 rue Chabanais, que se trouve la pâtisserie TOMO, petit antre de douceurs où déguster les meilleurs dorayaki de la ville et où boire des thés d’exception. C’est ici que nous avons rencontré  Kakegawa Yasuharu, inlassable dénicheur de récoltes rares, animateur d’ateliers autour du thé et sommelier d’un nouveau genre.

 

 

Il est 10h ce matin à la pâtisserie TOMO. Les premiers clients n’arriveront que dans deux heures mais l’air est déjà embaumé du parfum tendre des dorayaki et l’eau remue ses grandes bulles dans les bouilloires. Romain Gaïa, le fondateur de l’établissement, nous accueille dans son univers et donne immédiatement la couleur. « TOMO se veut un espace de rencontre entre la culture gastronomique française et  japonaise. Ce n’est pas tant une histoire de fusion qu’un mariage. » Férue de métaphores conjugales, je suis conquise dès l’attaque.

À ses côtés se tiennent Yasuharu Kakegawa et son sourire discret. Originaire de Tokyo, il est arrivé en France après ses études, poussé par une curiosité envers un pays dont il sentait que la longue tradition historique et culturelle était à la fois lointaine et étrangement proche du Japon. Son arrivée en France lui a ouvert les portes de l’œnologie et du savoir viticole. Il voit dans le vin et dans le thé deux cousins pas si éloignés que ça, à ça près que personne, au Japon, n’accorde au thé le dévouement studieux qu’on offre ici aux vins avec leurs domaines, leurs cépages et leurs producteurs. « En France, il y a un système rigoureux. Le consommateur est plus sensible. Et nombreux sont ceux qui ont apprécié ma démarche appliquée aux thés », nous dit-il.

« Au Japon, le thé marque avant tout un moment d’échange. Il n’y a rien de trop formel, c’est un partage », nous raconte M. Kakegawa. « En y réfléchissant bien, il doit y avoir plus de Parisiens qui pratiquent la cérémonie du thé que de Japonais ! », ajoute, rieur, Romain Gaïa alors qu’il transvase, avec une grâce qui m’est absolument étrangère, de l’eau bouillante dans une première théière en fonte, puis dans une deuxième théière plus petite en terre cuite, qu’on appelle kyūsu« Nos gestes servent tous à maîtriser la chaleur de l’eau. La richesse du thé japonais se déploie avec les changements de température : le goût varie et, d’assez léger qu’il est, il peut devenir fort ou gagner en astringence », nous explique M. Kakegawa. « Chez TOMO, nous privilégions la qualité de dégustation à la simple gestuelle cérémonielle. Dans une kyūsu, par exemple, qui a une base très large, les feuilles peuvent nager tranquillement et infuser au mieux », ajoute Gaïa.

 

 

C’est un engouement ancien qui relie les Français à la culture nippone. Tout d’abord, il y a eu les impressionnistes et leur découverte des estampes japonaises. Et puis il y a une sorte de pensée commune, un amour partagé pour la tradition et une sensibilité envers l’histoire, l’art, l’artisanat. Étrangement, ce qui nous relie au Japon relève plus des similarités que des différences. On revient à cette première métaphore conjugale : ils ont beau avoir l’air différents, les couples heureux se ressemblent bien plus qu’ils ne le soupçonnent ! « Ce que les Japonais ont particulièrement développé, c’est le lien entre la culture et la nature. Ce lien, c’est ce qu’il y a de plus universel », precise M. Kakegawa. « C’est une démarche qui vient du shintoïsme, certes, mais également du bouddhisme. La vie au Japon est profondément scandée par les quatre saisons. Et, chez nous, on ne peut pas faire l’impasse sur la nature : il y a beaucoup de choses que l’on doit accepter. Sans la saison des pluies, nous n’aurions pas de riz. Sans l’activité volcanique, nous n’aurions pas les sources chaudes, les onsen. Tous ces phénomènes sont à la fois violents et fructifères. Pour la culture du thé, les saisons sont indispensables. »

 

 

Au Japon, le thé est récolté une à deux fois par an, la première récolte au printemps, plus intense et aromatique, et la deuxième en été. Les thés japonais se divisent en plusieurs familles. Nous y trouvons, parmi d’autres, le sencha, le plus courant, qui correspond au thé le plus consommé. Il y a ensuite le hojicha, c’est-à-dire le thé vert grillé aux notes de noisette et à la teneur en caféine plus atténuée ; le genmaicha, un mélange de thé vert et de grains de riz grillés ; le matcha, le thé vert en poudre dont tout le monde raffole en ce moment ; le gyokuro, qui ressemble au matcha mais que l’on consomme infusé et non pas fouetté, et pour (ne pas en) finir, le bancha, qui est généralement un sencha de qualité moindre cueilli plus tardivement et consommé localement par les producteurs eux-mêmes.

Par le biais subtil du nez de M. Kakegawa, TOMO propose sa propre gamme de thés d’exception issus de petites productions soignées. On y découvre une variété phénoménale de saveurs et cépages différents au sein d’une même famille. Tous ceux qui souhaitent pousser la découverte des thé japonais encore plus loin peuvent également assister à l’un des ateliers qu’anime Kakegawa Yasuharu deux fois par mois chez TOMO autour d’une thématique spécifique.

Le travail de dénicheur de thés que M. Kakegawa fait auprès du public français – outre TOMO il partage son savoir à l’école Cordon Bleue et pour des restaurants étoilés comme L’Abysse – a également un impact local : « Malheureusement, les producteurs de thés sont âgés et il n’y a pas encore de véritable relève. En éduquant le choix des consommateurs à la culture du cépage, on donne du cachet à la production locale et on permet au secteur de se raviver. »

Finalement, ici comme ailleurs et aujourd’hui comme hier, l’ancien adage qui dit que « nul n’est prophète en son pays » semble être confirmé à travers ce cercle vertueux qui, par un aller-retour au Japon avec escale en France, ramène de la sève dans un milieu périssant. Une sève au doux parfum de thé.

(edg)