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Millennium Actress de Satoshi Kon
En salles le 18 Décembre – Japon – 1h21

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Un journaliste et son caméraman retrouvent une ancienne star du cinéma japonais, recluse depuis des années. À l’inverse d’une Greta Garbo jamais sortie de sa retraite, celle-ci accepte de raconter son histoire. Une vie pleine d’amour et de passion, passée à rechercher un étrange inconnu lui ayant fait la promesse de se revoir…

On n’en revient pas qu’il ait fallu attendre 20 ans pour que Millennium actress, film magistral d’un réalisateur trop tôt disparu, sorte enfin sur les écrans. En une courte décennie et seulement quatre longs métrages, de Perfect blue (1997), qui posait avec éclat les bases de son cinéma, à Paprika (2006), son ultime chef d’œuvre, Satoshi Kon s’est imposé comme une figure majeure, incontournable, non seulement du cinéma d’animation japonais, mais du cinéma-tout-court mondial. Quatre films avec lesquels, passant avec aisance du thriller au film d’anticipation, du mélo au conte de Noël à la Capra, Satoshi Kon étonne, émeut et passionne (Tokyo Godfathers, superbe relecture moderne du Fils du désert de John Ford, est à ce jour toujours cantonné en France aux bacs de DVD depuis sa sortie en 2003). Quatre réussites totales, qui déclinent dans un large éventail de genres sa fascination pour la filiation, la mémoire, l’univers mental et ses représentations possibles à l’écran.

Prenant donc appui sur les codes du mélodrame, Millennium actress nous entraîne à un rythme haletant à la poursuite des souvenirs de Chiyoko. Depuis son expérience fondatrice – son coup de foudre, très jeune fille, pour un peintre en fuite, pourchassé par la police, et qui lui confie une mystérieuse clé en échange de la promesse de se revoir – jusqu’à l’ultime plan de son ultime film et la destruction des studios qui firent sa renommée (rassurez-vous, on ne dévoile rien : tout ça est raconté dès l’incipit), sa vie est tout entière vouée à retrouver la trace de cet homme-mirage. Et l’on comprend rapidement que l’enjeu, ce qui la guide, est moins l’aboutissement de ses recherches que la quête elle-même. Conçu comme une déclaration d’amour de Satoshi Kon au cinéma, Millennium actress convoque en outre de façon jubilatoire les références cinéphiliques (la fameuse clé est à la fois le Rosebud de Chiyoko et le McGuffin hitchcockien du film), brasse dans un magnifique tourbillon romanesque les évocations de Kurosawa, Mizoguchi, Ozu, et d’une foultitude d’œuvres et d’auteurs par trop méconnus en Occident, pour construire la filmographie rêvée de son héroïne. Celle-ci échappe aux normes et à la manière dont le cinéma objectifiait les femmes, les pliait à l’image que s’en faisaient cinéastes et scénaristes, pour mieux inverser le miroir. Chiyoko mène ainsi la danse, au gré d’un récit dont on ne sait s’il est vrai ou si elle l’invente pour satisfaire les fantasmes de son visiteur, qui se projette à son tour dans les souvenirs de la star. La mise en scène (virtuose !) de Satoshi Kon semant d’autant plus le doute quand le passé et le présent, les scénarios des films revisités et les regrets de l’actrice fusionnent, dans une sidérante course-poursuite commémorant autant soixante-dix ans de cinéma de studio qu’une vie amoureuse. Le résultat est un monument de créativité, un film foisonnant et vertigineux, dont l’habileté de la construction n’entrave en rien la puissance émotionnelle. Une grande histoire d’amour fou, atemporelle et enchanteresse. A. M.